Des cartes postales en pagaille au foyer d’hébergement Léopold Bellan de Noyon

Saison : 2023/2024 - Artistes : Métalu à Chahuter - Établissements : Centre Habitat Leopold Bellan

Depuis octobre 2024, les artistes Louise Bronx et Martin Granger, de la compagnie Métalu A Chahuter, ont installé leur fabrique de cartes postales poétiques au Foyer d’hébergement -SAVS-SEAD de la Fondation Léopold Bellan à Noyon. Les résidents sont invités à créer des cartes postales pour les envoyer ensuite aux gens qu’ils aiment, ou à de parfaits inconnus. Une exposition se tiendra au Théâtre du Chevalet à Noyon, du 2 au 20 décembre 2024 afin de clore le projet.

Il est tout juste 14h, et Claudine attend le début de l’atelier. Martin, poète, musicien, s’installe à côté d’elle pour l’aider à rédiger un poème, selon la carte postale qu’elle a créée. Pour cela, Louise, artiste collagiste, leur ramène à chaque séance ses trésors de magazines à découper, et des cartes postales par dizaines. Ensemble, ils créent des images grâce à la technique du collage.

– Claudine, qu’est-ce qu’on peut dire de cette carte ?

– Y’a une dame – et des maisons.

– Plutôt des maisons de pauvres ou de riches ?

– De riches !

– Qui pourraient habiter dans ces maisons ?

– Des gens !

– Oui mais qui ?

– Je ne sais pas

– Et alors ce personnage au premier plan qu’est-ce qu’il fait ?

– Il danse !

Un peu plus loin, Louise range les magazines sur le rebord de la fenêtre, face au ginko plusieurs fois centenaire qui trône au milieu de la cour. « J’arrive, je vous rejoins tout de suite ! » Les participants arrivent au compte-goutte. Nous sommes vendredi après-midi, et certains sont encore au travail, à l’ESAT, situé à 2 kilomètres du foyer. En ce début d’après-midi pluvieux, seules les résidentes du foyer de vie sont au rendez-vous. Annie n’a manqué aucun atelier. « Tu vas choisir une autre carte Annie, quelque chose de plus simple pour qu’on puisse y ajouter deux personnages pour illustrer ce que pourraient être les retrouvailles avec ton frère ».  Louise prend la main d’Annie pour l’inviter à la table où a été disposée une pile de cartes postales.

Pendant ce temps, Martin et Claudine ont terminé le premier poème de l’après-midi. Martin le lit à voix haute. Tout le monde s’arrête pour écouter :

 

« Il y a des maisons de riches

Et c’est moi qui les habite

Pour fêter ça, je danse

En regardant les oiseaux »

De grands sourires accompagnent la lecture. C’est une approbation générale pour le haïku de Claudine.

« Le collage est une récréation »

Sur la table, des magazines sur divers sujets : automobiles, ski, mode, et aussi de vieilles encyclopédies illustrées. « On m’en offre, explique Louise. J’en achète aussi dans les Emmaüs, les ressourceries, les boîtes à livres. Le collage est une récréation. On peut créer ce que l’on veut. Je donne des idées parfois, je suggère des choses aussi mais ils me disent aussi quand ils n’aiment pas. C’est une cocréation entre les résidents et nous. L’important c’est de raconter une histoire. »

Patricia revient du travail. Elle travaille à l’ESAT de Noyon. Elle explique à Louise qu’elle a terminé son poste à midi et qu’elle a empaqueté des freins. Soudain, Martin s’exclame au loin : « cette femme va se transformer en moine anglo-saxon ». Tout le monde rit. Il est en train d’aider Claudine à réaliser un nouveau collage. Elle a besoin d’une figure féminine pour coller sur la carte qu’elle destine à son frère. « Tout est possible avec le collage ! »

Patricia se laisse tenter par l’atelier et décide de fabriquer une carte pour sa coiffeuse. « Elle aime bien couper. », précise-t-elle. « Ok, donc on cherche des petits ciseaux. », guide Louise. Patricia ne prend pas le temps d’enlever son anorak, ni son badge du travail. Elle se lance avec concentration dans la confection de sa carte.

« Je me sens utile, je sens que je leur fais du bien, explique Louise Bronx. Les résidents étaient en demande, ça leur fait du bien de pousser leur imagination. Si je pouvais, je ne ferais que ça ! »

Un camembert tout droit sorti des pies d’une vache

Tout est possible avec le collage, mais avec les mots aussi. C’est avec Annie désormais que Martin écrit un nouveau haïku. « Imagine que tu es en train de rêver et dans ton rêve il y a le camembert le, plus merveilleux. Comment est-il ? » aiguille l’artiste. « Il coule », répond Annie. « Il coule de la vache ! »

Pour Martin Granger, sa motivation est dans la rencontre : « On rencontre des gens, on voit du pays. C’est stimulant de faire de la poésie avec des gens qui ont peu de mots. Il y a de la bonne humeur, ça rigole. Parfois on doit mâcher le travail mais cela ne veut pas dire qu’il ne se passe pas quelque chose. Tout le monde a bien compris que la carte postale est un don que l’on fait à quelqu’un. Et ils ont voulu en envoyer à leurs familles et aux personnels du centre. Finalement on s’est éloigné de notre idée première qui était d’écrire à des inconnus, mais ce n’est pas grave.  On se marre bien ! On revient chez nous sur les rotules mais on vient en courant ! »

Interview

Est-ce que vous pouvez vous présenter et présenter la structure ? 

Je suis Yann Primault, je suis le directeur de l’établissement. Ici, on est dans un lieu de vie qui est géré par la Fondation Léopold Bellan, qui est au cœur de la ville de Noyon. C’est un lieu de vie qui accueille des adultes en situation de handicap : handicap mental et handicap psychique, et qui travaillent en milieu protégé.

Ils ne sont donc pas là en journée : ils partent le matin au travail à l’ESAT, qui est à 2 kilomètres d’ici. Ils reviennent le soir et ils sont là les week-ends. Certains habitant ici dans l’unité collective, d’autres habitent dans des appartements en centre-ville.

Par ailleurs, il y a d’autres personnes aussi qui ne travaillent plus, mais qui souhaitent continuer à habiter ici. Donc ils sont au foyer de vie où il y a des activités qui sont proposées en journée. Voilà, chacun a sa chambre, puis sa liberté, puis le niveau d’accompagnement qui correspond à ses besoins.

Qu’est-ce qui vous a motivé à postuler à Plaine Santé ? 

J’avais envie de faire entrer la culture au sein de l’établissement. C’est toujours bien de faire rentrer des gens extérieurs qui ne sont pas éducateurs, qui ne sont pas du métier. Ce sont d’autres regards, ce sont d’autres approches.

La culture, pour moi, c’est un ciment culturel. C’est un vrai support d’échange. On n’est plus la personne handicapée qui est accompagnée, on est tous des petits artistes à inventer, à faire de la poésie, donc je trouvais que c’était vraiment très intéressant. Et puis ce projet a été porté par certains professionnels ici, donc je l’ai vraiment soutenu. On a vraiment envie de pouvoir renouveler ce type d’expérience. 

C’est une première pour vous de faire venir des artistes dans l’établissement ? 

Personnellement, j’ai travaillé beaucoup dans des hôpitaux de jours, en psychiatrie, où on travaillait énormément avec des artistes. Théâtre, peinture, photographie. Le média culturel a toujours été un support de l’accompagnement et du soin.

Donc pour moi, c’était important de pouvoir le poursuivre ici. Et d’autant plus sur un lieu de vie. Et puis nous avions trouvé l’idée des cartes postales super. J’aimerais tellement recevoir d’un inconnu un poème, et encore plus un poème qui vient d’une structure qui accompagne des personnes en difficulté. Je trouve ça très réjouissant, très beau, et puis les poèmes et les collages sont très beaux.

C’est pour l’objet cartes postales que vous aviez choisi le duo Martin Granger et Louise Bronx ?

En fait, on ne savait pas trop, mais lors de la présentation, on a trouvé ça assez intéressant. Cette idée des poèmes, je trouvais ça vraiment très intéressant. Ils avaient expliqué que leur proposition était inspirée d’un poète dont le projet est d’envoyer un poème à chaque habitant de la terre.

Je trouve ça tellement beau ! Si on se consacrait tous un peu plus à ça, à faire des choses comme ça, complètement folles, mais hyper belles, je pense que le monde irait mieux. En plus, il y a cette idée où la culture vient dans l’établissement, ensuite la culture qui est créée ici repart, et elle refait du lien localement.

Elle va refaire du lien avec l’exposition notamment ? 

Exactement, l’exposition finale aura lieu au Chevalet, qui est la salle culturelle de Noyon, et après cela, les cartes postales seront envoyées.

Donc comme ça, tous les habitants, les partenaires, les familles, les résidents pourront venir voir les créations. Certains résidents qui ont fait des cartes postales préfèrent les envoyer à des gens qu’ils connaissent, à leurs familles, etc. Mais il me semble qu’il y aura aussi d’autres cartes postales qui seront envoyées comme ça, un peu… n’importe où.

Si vous deviez refaire Plaines Santé, aurez-vous envie de vous ouvrir à d’autres arts ?

Oui, oui, je n’ai pas d’idées arrêtées. Je trouve que le théâtre, ça serait aussi intéressant. La musique aussi ! La peinture… Je trouve que tout support est intéressant à partir du moment où c’est porté par un artiste. Il y a une sensibilité et des compétences propres aux artistes. Et je trouve que c’est une manière de valoriser les personnes qui sont ici.

Pour cette première participation, vous n’avez pas fait participer vos résidents au choix des artistes. Est-ce que c’est une chose que vous aimeriez faire évoluer ?

Oui, c’était une première, donc on a un peu tâtonné. Mais oui, ça a complètement vocation à ce que ce soit fait par les résidents. Par les éducateurs et les résidents, ensemble, qu’il y ait une vraie rencontre et que ce soit eux qui participent à ce choix.

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez