Apprivoiser nos casseroles avec la compagnie Le Tout collectif

Saison : 2024/2025 - Artistes : Le Tout collectif - Établissements : Centre l’Espoir

La saison 2025 de Plaine Santé est officiellement lancée. Pour ouvrir cette cinquième édition, direction le Centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelles spécialisées L’Espoir, à Hellemmes (59).

Il est presque 13h, ce vendredi 11 avril 2024. Dans la salle d’activité du centre, transformée pour l’occasion en espace scénique improvisé, deux paravents bleus font office de coulisses. Derrière l’un, Ondine enfile un long gilet orange. Derrière l’autre, Thyl se prépare, invisible mais déjà concentré. Le spectacle se jouera juste sous le panneau de basket, dans une lumière douce de mi-journée. Dehors, à travers les grandes baies vitrées, on aperçoit deux soignants allongés dans l’herbe, profitant de l’ombre d’un cerisier en fleurs.

Mais il est temps de commencer : la pause déjeuner ne dure que trente minutes. Une quarantaine de personnes – soignants, personnel administratif, quelques patients – ont fait le déplacement, intrigués par cette parenthèse artistique.

Ondine ouvre le bal et lance la musique. Surgissant de sa cachette, Thyl entre en scène dans le rôle de Marcellin, une grosse casserole rouge accrochée à lui. Elle l’entrave, le gêne, mais c’est aussi elle qui va provoquer la rencontre. Car Ondine, elle, sait comment « apprivoiser sa petite casserole ».

Pendant 25 minutes, le duo transporte le public dans un tourbillon d’émotions. On rit, on est touché, on se reconnaît. À la fin, les réactions fusent :

« C’était trop beau ! » s’exclame une soignante.
« J’ai pleuré tout du long », ajoute une collègue dans un sourire.
« Un très beau message », résume une autre.

À 13h30 pile, le public repart vers ses postes. Les deux comédiens, eux, restent un instant. Les visages détendus, les sourires complices : mission réussie.

« On a trouvé intéressant qu’une compagnie aborde le handicap avec ce ton-là »

Interview de Sylvain Pistone, médiateur culturel en charge des animations individuelles et collectives et du Pôle Culture du

Centre L’espoir

 

Pouvez-vous nous présenter brièvement le Centre L’espoir ?
Oui, c’est un centre de rééducation et de réadaptation. On y accueille des personnes souffrant de troubles de l’appareil neurologique ou locomoteur. On a également un hôpital de jour et un centre de santé.

Quelle place occupent actuellement la culture et les artistes ici, au sein du centre ?
Grâce à la DRAC avec qui nous sommes en partenariat depuis 2017, on s’inscrit soit dans le programme Circulation (résidences artistiques), soit dans celui de Plaine Santé. C’est la troisième fois qu’on accueille des équipes artistiques dans ce cadre-là.

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans le programme Plaine Santé ?
Déjà, pour moi, c’est un programme “clé en main”, donc je n’ai pas grand-chose à faire, à part accueillir les artistes dans de bonnes conditions — ce qui est déjà important. Mais ce que j’apprécie particulièrement, c’est que le dispositif s’adresse à tout le monde : patients, personnel, familles, visiteurs… Ce n’est pas ciblé uniquement sur un public. J’aime cette idée d’entièreté. Que tout ce qu’on appelle les “blouses blanches” puissent aussi être intégrées dans le projet, ça me plaît beaucoup.

Cette ouverture à tous les publics, c’est une spécificité du programme Plaine Santé ?
C’est une spécificité des accompagnements proposés par la DRAC, pas uniquement de Plaines Santé. Le programme Circulation fonctionne pareil : c’est pensé pour tout le monde.

Comment procédez-vous pour choisir les artistes ?
On met en place un comité de pilotage composé généralement de thérapeutes, de soignants, de membres de la direction et moi-même. La DRAC nous propose une présélection d’artistes, une vingtaine au total. On en retient trois ou quatre : on classe nos vœux, puis c’est Plaines Santé qui répartit.

Les patients participent-ils à ce choix ?
Pas dans le cadre de Plaines Santé. En revanche, pour le programme Circulation, j’inclus une représentante des usagers dans le choix de l’artiste.

Est-ce que la compagnie Le corps collectif faisait partir de vos choix ?
Oui, elle faisait partie de nos quatre choix. Ce n’est pas moi personnellement qui l’ai choisie, mais on a spécifiquement été attirés par le projet autour de La Petite Casserole. C’était au moment de la sortie du film Un p’tit truc en plus, d’Arthus. Beaucoup l’avaient vu, et ont fait le lien entre les deux.
Ils ont trouvé intéressant qu’une compagnie aborde le handicap avec ce ton-là. On s’est dit que ce serait bien de l’avoir ici.

Et comment se passe leurs interventions ?
Très bien ! C’est leur deuxième passage. On a fait une première déambulation la semaine dernière.
Ils ont été bien accueillis, autant par les patients que par le personnel. C’est peut-être aussi grâce à leur approche humoristique.

Vous disiez que c’était un programme clé en main, mais concrètement, que signifie pour vous “accueillir une compagnie” ? Quelles sont les difficultés et les facilités ?
Ce n’est pas toujours simple. Pas à cause des patients, mais plutôt vis-à-vis du personnel soignant, qui est parfois un peu éloigné du monde artistique et culturel. Ils s’interrogent sur l’intérêt de la présence d’artistes dans un lieu de soin. Ça peut être un vrai défi pour moi, mais aussi un aspect passionnant du travail. On nous prend parfois pour des extraterrestres, que ce soit avec une danseuse, un plasticien ou une troupe de spectacle vivant, comme ici.

Et concrètement, comment vous organisez-vous pour les accueillir ?
L’idée, c’est de les rendre visibles, partout. Le centre est très grand, il faut beaucoup marcher, beaucoup se déplacer entre les services. Les artistes jouent un rôle de lien entre ces différents services. Cette transversalité est essentielle pour moi. Il faut aussi que tout le monde sache qu’ils sont là — c’est primordial.

Et pour les soignants qui sont parfois réticents, comment faites-vous pour les inclure davantage ?
C’est pour ça que le comité de pilotage est important : pour qu’ils aient leur mot à dire dans le choix ou l’accueil des artistes. Avec cette compagnie-là, c’est encore plus facile car ils fonctionnent avec des “impromptus”. Il n’y a pas de communication préalable : l’intervention artistique est une surprise.
Ils débarquent dans un service, lancent une performance, et les gens sont pris sur le vif, obligés de participer. J’avais un peu peur que ça tombe à plat, surtout dans des endroits plus isolés, mais là, ça a bien marché.

« Ça a tellement bien marché qu’on a eu envie d’en faire un vrai spectacle. »

Interview d’Ondine, Thyl et Jean Desbonnet de la compagnie Le Tout Collectif

 

Pouvez-vous vous présenter et présenter la compagnie ?

Ondine : Je suis comédienne et cofondatrice de la compagnie. Nos projets mélangent différents univers artistiques. On travaille beaucoup sur les questions de handicap, notamment avec des structures comme les Papillons Blancs.
Thyl : Je suis comédien amateur, mais je participe régulièrement aux créations de la compagnie.                                                                                                                             Jean : Je suis président de l’association qui porte administrativement la compagnie, et aussi un peu « homme à tout faire » des spectacles !

Pourquoi avez-vous souhaité participer au programme Plaines Santé ?
Ondine : Parce que ça correspond à nos valeurs. On crée des spectacles pour des lieux non dédiés à la scène. L’essentiel pour nous, c’est d’ouvrir le dialogue, de partager avec toutes les personnes, quelles que soient leurs histoires ou leurs parcours.                                                                                                                                           Jean : Et parce que c’est rémunéré – ce qui est rare ! Ça nous permet d’être tous présents, d’investir pleinement le projet. C’est important pour les artistes d’être reconnus aussi financièrement. Sinon on le ferait peut-être quand même… mais là, c’est vraiment possible.

Quel est le point de départ du spectacle La petite casserole ?
Ondine : À l’origine, c’est une adaptation libre de La petite casserole d’Anatole, un album jeunesse d’Isabelle Carrier. À l’origine, c’était un mini impromptu de 15 minutes pour le Téléthon à Armentières. Ça a tellement bien marché qu’on a eu envie d’en faire un vrai spectacle.

Comment avez-vous préparé les impromptus pour Plaines Santé ?
Ondine : On a choisi de ne pas tout dévoiler du spectacle. On a créé des petites scènes visuelles ou participatives, des détournements d’objets, de la danse dans les couloirs, des jeux avec le personnel… Le but, c’était de semer des graines, d’attiser la curiosité.
Thyl : On a prévu trois déambulations avant chaque représentation. Ensuite, il y a encore 2 dates à caler avec le futur service des grands brûlés qui ouvrira à l’automne.

Quels retours avez-vous reçus jusqu’à présent ?
Ondine : Très positifs. Les gens ont vraiment joué le jeu, même ceux qu’on pensait moins réceptifs, comme les services administratifs.
Thyl : Il y a eu une vraie participation, une curiosité, et pas mal de bonne humeur.

Thyl, comment arrivez-vous à concilier vie professionnelle à l’ESAT et vie artistique ?
Thyl : J’ai un trois-quarts temps à l’ESAT pour pouvoir me libérer du temps. C’est chargé, mais j’aime ça. Cela me permet de répéter, de me produire mais aussi de me reposer parfois. 

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez