Au foyer Victor Morel, ce sont les résidents et résidentes qui choisissent les artistes qui seront accueillis chez eux. Pour cela, l’équipe a monté une commission culture. Et leur motivation ne s’arrête pas là, car ils participent aussi à la commission de sélection des artistes pour l’ensemble du dispositif Plaines Santé.
Un investissement dont les résidents ne sont pas peu fiers et qui participent à changer le regard sur leurs situations. Changer les regards, faire évoluer les rôles, c’est aussi ce que propose la compagnie Un loup pour l’homme avec le duo acrobatique Passing swiftly.

Comment est né le spectacle Passing Swiftly ?
Christine : Le point de départ, c’était simple : on voulait voir ce que faisait deux voltigeuses qui se portent mutuellement. Ça partait d’une envie de tester, d’explorer, et aussi de questionner les rôles, en tant que femmes, en tant que personnes. On a travaillé autour de la zone de confort : comment on en sort, qu’est- ce que ça demande, comment on construit une relation de confiance et de communication autour de ça.
Et puis, au début, c’était une petite forme, créée pour une carte blanche. On s’est rendues compte qu’on avait envie de continuer, de faire évoluer le projet, de l’adapter pour aller à la rencontre des gens, en dehors des salles traditionnelles.
Justement, échanger les rôles de voltigeuse et de porteuse, ça représente quoi dans le monde du cirque ?
Christine : En acro, le porteur ou la porteuse est en bas, il·elle soulève. Le·la voltigeur·euse, c’est celui
ou celle qui est en l’air. Et nous, avec nos gabarits pas très grands, on a toujours été voltigeuses. Mais à chaque fois qu’on se croisait, on jouait à se porter, on rigolait, et on prenait du plaisir à ça. C’est devenu un terrain d’expérimentation, et c’est là que l’envie est née.
En fait, c’est aussi une façon de sortir des cadres habituels, de casser des normes, et de dire : tiens, et si on faisait autrement ?
De fil en aiguille, on a fait d’autres résidences, eu d’autres propositions. Et puis il y avait aussi cette envie d’avoir une forme très adaptable, très ouverte, où on peut vraiment sortir des boîtes noires des théâtres, aller vers les gens. Une forme techniquement légère, capable de se déplacer, pour aller à la rencontre de différents publics et de différents types de lieux. Ça a vraiment fait partie de la réflexion du processus.


La musique live semble jouer un rôle essentiel dans Passing Swiftly. Pourquoi ce choix ?
Enguerran : C’est super intéressant parce que la musique est vivante, comme le corps. Je m’adapte àleurs rythmes, à ce qu’il se passe sur scène. Ça devient un vrai dialogue. Et pour moi aussi, c’est une sortie de zone de confort.
Christine : Et depuis, la musique fait complètement partie du spectacle. Elle accompagne les moments de tension, de transition… On ne peut plus s’en passer ! Il joue à l’instant, il sent ce qu’on fait, il s’adapte. Et nous aussi, on réagit à ce qu’il joue. Il y a un dialogue qui se crée, un lien fort. C’est précieux.
Et pour toi Enguerran, qu’est-ce que ça t’apporte de jouer avec des gens qui ne font pas de musique ?
Avec la compagnie, on travaille ensemble depuis cinq ans, mais Passing Swiftly m’a clairement fait sortir de ma zone de confort. J’ai l’habitude de jouer en duo, avec un autre musicien, mais là, je suis seul avec ma guitare, face au public. Il a fallu que j’apprenne à lire une partition physique, à m’adapter en temps réel. Rien n’est figé, tout évolue. Et j’ai découvert le plaisir d’accompagner ce mouvement vivant, de chercher la note juste au bon moment. C’est un vrai défi, mais très stimulant.

Qu’est-ce que le dispositif Plaines Santé vous a apporté ?
Christine : Ce qui nous a plu, c’est le temps de la rencontre. Dans beaucoup de spectacles, tu arrives, tu joues, tu repars. Là, on prend le temps. On fait des ateliers, on échange.
Enguerran : C’est super intéressant parce que la musique est vivante, comme le corps. Je m’adapte. Ça nous permet aussi d’aller vers des publics qu’on ne voit pas dans les salles ou sous les chapiteaux. On sort tous de nos quotidiens, et ça crée des échanges très forts.
En quelques jours, avez-vous senti cette rencontre se produire avec les résident·es ?
Christine : Oui, tout de suite. Les gens ont été très accueillants, très généreux. Ils nous ont tout de suite intégrés. Ce qu’on partage, ce n’est pas juste un spectacle, c’est aussi un effort commun. Eux aussi se dépassent dans les exercices qu’on propose mais aussi tous les jours. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est profond. Il y a de la fragilité, de la sincérité, de l’énergie.
Špela : Et je pense que c’est un spectacle parfait pour ce lieu, parce que, comme Christine a dit, on est sortis de nos rôles habituels. Notre proposition est très simple. Et avec eux, ce qu’on fait, c’est aussi très simple, mais ça demande beaucoup d’efforts. Même des choses basiques, ça demande de l’énergie, de la force. Ce n’est pas forcément spectaculaire vu de l’extérieur, mais on voit l’effort. On partage ce type de dépassement.
Et avec Christine, on a beaucoup travaillé sur la confiance, comment on se parle, comment on fait les choses ensemble. On se pose tout le temps la question : “Comment tu te sens ?”, “Qu’est-ce que tu as besoin ?”. Pour que la voltigeuse se sente en sécurité. Et ça, c’est important aussi à transmettre ici.


Propos recueillis par Sidonie Hadoux
Photographies: Gabriela Téllez