Le mardi 1 er octobre 2024, les résidents et résidentes de la Maison d’accueil spécialisé (MAS) de Oignies accueillaient Le Théâtre de l’autre côté, en la personne de sa metteuse en scène et comédienne, Valérie Fernandez, et de son compositeur Ignacio Plaza.
Adrien, Jérémy, Pascal, Djénat, Nicolas, Kelly, Luc et Dorothée sont installés dans la salle d’activité de l’établissement. C’est la quatrième fois que la compagnie vient leur rendre visite dans le cadre du dispositif Plaines Santé.
Ignacio Plaza et Valérie Fernandez s’installent en demi- cercle. « Au flanc d’une montagne, je me suis raccrochée » entame en chantant la comédienne. Les deux artistes vont interpréter leur spectacle Le dernier mot, inspiré du conte de Jean-Claude Carrière qui s’appelle Le Marchand de mots.
Installée dans son fauteuil adapté, Kelly semble apprécier le bruit de la clarinette. Elle sourit et joue avec la main de Dorothée, la psychomotricienne du lieu. Sa main virevolte en rythme. Adrien aussi réagit en poussant quelques cris, et à sa droite, Jérémy sourit à l’écoute des mots « coussin » et « yaourt ». Tout proche de la comédienne, Nicolas a la tête posée dans ses bras. Il ne regarde pas, mais soudain, il agite sa main et la maracas qu’elle détient.
Interview de Dorothée Gillet, psychomotricienne et référente culture à la Maison d’Accueil Spécialisé (MAS) de Oignies
Comment avez-vous travaillé avec la compagnie Le Théâtre de l’autre côté ?
Valérie, metteuse en scène et comédienne de la compagnie nous a suggéré de faire des petits groupes dans les différentes maisonnées. Elle ne voulait pas des groupes trop nombreux. Comme le spectacle tourne autour d’un conte et une recherche sur la sonorité des mots, nous avons un peu listé avec Séverine, l’animatrice socio-éducative de l’établissement, les personnes qui étaient sensibles au son. Par exemple Kelly, Nicolas, Adrien, tous ceux qui aiment bien les petits chuchotements, les petits bruits.
Est-ce qu’il y a eu des réactions ?
On voit qu’il y a des réactions comme des sourires, le regard attentif et des mouvements volontaires, effectivement avec les sons des instruments de musique et des petits objets sensoriels qu’elle amène. Je vois qu’ils sont sensibles, ils réagissent donc ça correspond bien à certaines personnes.
Cela se passe d’habitude dans leurs lieux de vies. C’était la première fois en salle de vie dans les maisonnées. Est-ce que cela a changé la réception des résidents et résidentes ?
Les bruits sont un peu plus ronds à cause du haut plafond. C’est peut-être aussi plus chaleureux et donc convivial. Le seul inconvénient, c’est qu’il y a du passage, le bruit des verres et de la vaisselle. Il faut bien choisir ses créneaux, mais ça s’est finalement très bien passé.
ITW de Valérie Fernandez, responsable artistique de la compagnie Le Théâtre de l’Autre Côté, metteuse en scène et comédienne.
Quel projet présentez-vous pour Plaines Santé ?
On a monté tout un projet autour d’un conte de Jean-Claude Carrière qui s’appelle Le Marchand de mots et autour duquel on développe des rencontres, des capsules de mots et un spectacle qui s’appelle Le Dernier Mot.
Autour de ce spectacle, on propose aux gens de partir en cérémonie pour devenir eux-mêmes des marchands de mots. C’est un voyage pour découvrir le conte et aussi un moment qu’on appelle nous, sophrologie, dans lequel ils vont partir au pays de leur monde intérieur pour trouver leurs mots-talisman. Ensemble, nous mettons en valeur la force du mot en lui-même, une force performative, comme si le mot était vraiment une formule magique qui permet d’accéder à soi et de partir à la rencontre du monde aussi puisqu’on parle beaucoup du plurilinguisme.
Pourquoi avez-vous choisi cette création pour Plaines Santé ?
C’est un spectacle prévu pour être en intergénérationnel idéalement., donc ça peut-être en EPHAD. Au niveau de la scénographie, il n’est pas prévu spécialement pour être joué dans des milieux plus médicalisés. Mais dans ces cas, on fait plutôt ce qu’on appelle des explorations collectives.
Dans le cadre particulier de Plaines Santé, j’avais envie d’en profiter pour explorer la partie vraiment musicale et résonante de la voix par rapport aux mots. On n’est pas venu pour enregistrer spécialement une capsule de mots, mais plutôt pour aller plus loin dans l’exploration improvisée, l’exploration vocale des mots.
Vous dîtes que vous vous adaptez au groupe, que c’est un peu différent à chaque fois. Aujourd’hui, à quelle forme avons-nous assisté ?
Aujourd’hui, je suis avec Ignacio Plaza, qui a composé la bande-son du spectacle. Je suis venue aussi sur quelques séances avec Sarah Tullamore, qui est l’interprète et chanteuse. J’avais envie d’en profiter pour faire comme un petit chantier d’exploration et voir ce qui se passe quand on rencontre des personnes qui ont des déficiences cognitives, et comment venir les rencontrer sur le terrain de la sensorialité et de la vibration.
Et donc, qu’est-ce qui se passe justement ? Qu’avez-vous trouvé ?
C’est surprenant de voir tout ce qui peut passer en un regard, en une sensation. On arrive assez vite à choper les personnalités des usagers ici. C’est juste quand on propose un mot, on se dit « ah bah oui, je vois ton caractère, ça pose cette couleur ». Finalement, au-delà du handicap, qui est très différent à chaque fois, il y a des personnalités.
C’est ça que j’en retiendrai, c’est qu’au final, il y a un temps d’adaptation pour nous parce qu’on n’est pas sur les mêmes facilités de communication, et donc il y a un temps d’apprivoisement, on tâtonne un peu, et puis on avance avec une proposition qu’on ne fait pas du tout comme on avait dit qu’on ferait au début. Et puis parfois si, comme aujourd’hui, on s’était vraiment dit qu’on les amenerait sur le terrain du conte, en mode spectacle avec des interactions avec eux.