JULIEN BUCCI, de la poésie plein les oreilles

Saison : 2022/2023 - Artistes : Cie Home Théâtre - Établissements : Le GHAT

Le 20 octobre 2023, Julien Bucci de la compagnie Home Théâtre, et Cloük, alias Chloé Smagghe, étaient au Centre Hospitalier d’Arras pour le dernier jour d’intervention de la compagnie dans le cadre de Plaines Santé. Tantôt seul, tantôt accompagné de Chloé ou du musicien David Laisné, Julien Bucci a offert aux patients et patientes de l’hôpital un moment de poésie et de bien-être.

Il est 14h00 passées de quelques minutes, et déjà le duo s’active dans le couloir du centre hospitalier d’Arras. Les lectures en chambre vont commencer à 14h30. Julien Bucci, écrivain, poète, ouvre une mallette dans laquelle sont exposés des livres.  Il la pose sur un chariot, réquisitionné pour l’occasion. Aujourd’hui, Julien est accompagné de l’illustratrice Cloük, alias Chloé Smagghe qui installe sa boîte de pastels et ses feuilles blanches juste à côté de la mallette du poète.

En quelques minutes, le duo est prêt. Julien tient dans sa main la liste des chambres où les personnes ont répondu positivement à leur proposition. Il échauffe rapidement sa voix en passant la porte du couloir. Cloük le suit en poussant le chariot jusqu’à la première chambre. C’est un refus pour cette première. La dame n’est finalement pas disponible. Le duo part alors vers une autre chambre. Cette fois-ci, c’est un oui. Ils peuvent rentrer et prendre place à côté de Roger.

La proposition est belle de simplicité : Julien offre au chevet la lecture d’un poème qu’il a écrit. Pendant ce temps, Cloük dessine l’illustration qui lui correspond. A la fin de la lecture, l’illustratrice offre le dessin à la personne. Le duo échange quelques bribes avec l’auditeur ou l’auditrice puis quitte la chambre, les laissant suspendus aux mots, aux souvenirs, aux images qui se dessinent dans leurs têtes.

« Je me voyais circuler autour des arbres, le long de la rivière »

Roger a fermé les yeux durant la lecture. Il est parti en promenade, loin des quatre murs blancs de sa chambre. Puis, il a tardé à les rouvrir, apaisé, là où il était. « J’ai bien respiré », dit-il en ouvrant les paupières. « J’en ai besoin. » Respirer, c’est ce que proposaient les derniers vers du poème que Julien lui a lu. 

Une fois les artistes sortis de sa chambre, Roger a pris délicatement dans ses mains le dessin laissé par Cloük. Il l’a longuement regardé. « Je dessine depuis que je suis petit. Je dessine tout le temps. Cela me détend. Alors quand on m’offre un dessin, ça me touche, ça me donne envie de prendre un crayon. Mais mon fils ne m’a pas apporté mes affaires. Ce n’est pas grave, je fais des mots croisés ! »

« J’aime bien la passiflore »

Dans la chambre à côté de celle de Roger, il y a Roland qui attend son épouse hospitalisée. Après quelques minutes d’attente, l’infirmier la ramène, poussant son fauteuil roulant. « Ça fait longtemps que tu es là ? », demande-t-elle d’une voix vive, avant de lui donner les nouvelles. Sur sa table, il y a une petite pile de livres. Alors quand Julien et Chloé leur proposent un moment de poésie, les deux complices acceptent avec des étincelles dans le regard. « Ah les rouges-gorges ! J’en voyais beaucoup quand j’étais gamin mais aujourd’hui je n’en vois presque plus », réagit Roland à la fin du récital. Son épouse remercie chaleureusement les artistes : « J’aime bien le passiflore, alors quand vous me parlez de cette fleur, cela me projette des images très agréables. Cela me rappelle le passiflore qui trônait à l’entrée d’une maison de vacances en Provence, où nous allions… Il y a quelques années. »

« J’aurais aimé que vous me parliez de truites »

Daniel est un ancien notaire. Énergique, loquace, souriant. A la fin du poème, il s’exclame : « C’est beau tout ça, toutes ces fleurs, toute cette nature, mais j’aurais aimé que vous me parliez de truites. Dans la rivière, j’aurais aimé qu’il y ait des truites ! ». Les deux artistes s’amusent. Et quand Cloük lui tend la feuille de papier où elle a dessiné un joli brin de muguet, Daniel rétorque : « Bon, c’est très beau, mais j’aurais préféré des jonquilles ! ».

« Le jardin c’est ma vie »

« Plein de plantes, plein de fleurs, c’est ma vie ! s’exclame Françoise. J’ai la main verte, à chaque fois que je fais des boutures, ça prend ! Je ne sais plus quoi en faire ! J’en donne à mes auxiliaires de vie et à ma petite-fille. Bon, malheureusement je n’arrive plus à jardiner dans le jardin à cause de ma santé. A la maison, j’ai une collection de chouettes dans ma verrière. Mais j’accepte aussi de mettre autre chose que des chouettes, alors je mettrai le dessin sur une étagère à côté de mes chouettes ! 

Le goût de la cerise

La fin d’après-midi se déroule un étage au-dessus, à l’EHPAD. Plusieurs résidents et résidentes ont aussi droit à une lecture dessinée : Gilles, Raymond et son doudou, Marie, Jeanne. Quand Cloük offre le dessin à Jeanne, elle ne comprend pas :

  • C’est pourquoi ? demande-t-elle
  • C’est pour vous ! rétorque Cloük

Alors Jeanne parle de ses problèmes de mémoire. Dans le dessin de Cloük, il y a une cerise, une belle cerise rouge. 

  • Et le goût de la cerise, vous vous en souvenez ? demande l’illustratrice
  • Oui, un jour, mon fils est venu me rendre visite avec un gros paquet
  • Et bien on vous laisse avec ce dessin, poursuit Julien. Et si vous ne vous souvenez plus de nous, et bien vous regarderez ce dessin, et peut-être que vous vous souviendrez de ce moment. De ce moment, de nous ou du goût de la cerise. 

INTERVIEW / Julien Bucci, de l’art de la bibliothérapie

Julien, Chloé, quels sont vos ressentis juste après cette intervention ?

Julien : Je suis content. Ces interventions nous permettent d’expérimenter des choses. Aujourd’hui par exemple, j’ai lu des nouveaux textes : j’ai terminé d’écrire le dernier hier soir. Je me suis rendu compte qu’il y avait des mots qui percutent les auditeurs : la passiflore, le parquet, les truites.

Chloé : Oui, c’est un laboratoire d’expérimentations. Au départ, je devais dessiner sur des vitres. Mais parfois, ça n’a pas été possible. Alors je suis passée au papier. La première fois j’ai fait les dessins à l’aquarelle. Mais c’est long, ça coule. Aujourd’hui c’est la première fois que je testais avec les pastels. Et j’ai bien aimé !

Julien, tu as choisi d’inviter d’autres artistes pour certains de tes impromptus. Aujourd’hui, il s’agit de Chloé. Pourquoi ?

Julien : Je suis convaincu qu’un texte lu raisonne ensuite dans la personne. Mais si tu laisses un dessin, il raisonne plus encore. La démarche de la compagnie, ce sont les mots. Les mots qui prennent soin, les mots qui aident, qui soutiennent. Il y a une démarche portée sur la bibliothérapie. Le texte résonne aussi chez la personne qui m’accompagne. Pour moi le critère d’un bon spectacle, c’est la rémanence : qu’est-ce qu’il reste ? qu’est-ce qui raisonne ? Laisser un dessin c’est laisser une trace.

Chloé : Oui, puis parfois, les gens ne savent pas quoi faire ou qui regarder pendant la lecture, alors ils peuvent me regarder dessiner. Avec les enfants, ils ont beaucoup regardé le dessin pendant la lecture.  Là aujourd’hui, je les ai trouvés en face à face avec toi. Ils te regardaient, réagissaient à certains mots.

Chloé, quant à toi, pourquoi as-tu accepté l’invitation de Julien ?

Je trouvais intéressant de confronter mon univers avec celui de quelqu’un d’autre. J’aime beaucoup l’écriture de Julien. Elle est très illustrée ce qui me permet d’avoir des images en tête assez rapidement. On a une bonne complicité et j’aimais cette proposition au chevet. Je n’avais jamais fait de dessins au chevet donc cela m’intéressait.

Chloé, ce n’est pas ta première participation à Plaines Santé, tu étais intervenue l’année dernière avec ta compagnie, La Rustine. Qu’est ce qui t’intéresse dans ce dispositif ?

Le contact des gens. Je trouve ça bien de développer dessin et soin. Ce sont des milieux fermés, et nous venons leur apporter un ailleurs. J’aime bien aussi travailler avec les personnes âgées. Cette expérience-là me donne envie de creuser. Elle me conforte et me donne des idées pour des futurs projets !

Julien, comment as-tu travaillé à l’écriture de ces textes ? 

Pour les textes lus aujourd’hui, je me suis inspiré d’un auteur hongrois Dan Jacz. Ma démarche est aussi inspirée des recherches sur les neurones miroirs, une théorie en neurosciences qui stipule que : les mêmes zones neuronales sont stimulées si je fais l’action physiquement ou si j’entends juste le mot, ou le verbe qui désigne l’action.  Donc dans mes textes, il y a beaucoup de verbes d’action. On avance. On progresse dans une linéarité. On ne perd pas l’auditeur ou l’auditrice. Le champ lexical est aussi choisi scrupuleusement : nature, fleurs, animaux, avec l’idée que le mot va à un moment réveiller des choses profondes chez la personne.

Tu as aussi laissé un téléphone se promener dans les différents services … Tu peux nous en dire plus sur ce drôle de combiné ?

Oui ! C’est un projet né pendant le confinement à l’origine. Les personnes qui l’utilisent tapent un numéro et entendent un poème au bout du fil. Et à chaque fois, dans les services, j’ai procédé comme cela. Je demande aux personnes de choisir un poème et je leur lis. Ce sont des poèmes qui répondent tous à un besoin (rassurer, aimer, transporter, réchauffer, etc.)

Quel est le service que vous avez préféré ?

Julien : J’ai adoré la néonatalogie. C’était très fort. Les bébés étaient prématurés et ils avaient des électrocardiogrammes. Au fur et à mesure de la lecture, leur rythme cardiaque ralentissait. C’est l’infirmier qui me l’a indiqué. La lecture était adressée aux mamans. Le rythme du cœur de la maman baisse, et automatiquement le rythme cardiaque des bébés baisse. D’habitude je ne sais pas mesurer l’effet que j’ai avec mes lectures, or là, c’est devenu très tangible. C’était émouvant.

Chloé : les personnes âgées. J’ai envie de continuer à travailler avec ce public.

Tu as employé le mot bibliothérapie dans une des réponses précédentes, qu’est-ce que c’est ? 

La bibliothérapie, qui est une sous-branche de l’art-thérapie, consiste à utiliser le potentiel des mots dans un but de mieux-être, de détente (ou au contraire de dynamisation) et surtout de maintien de la créativité de chaque individu, à tout âge de la vie.
 
Ce matin, j’ai fait écrire des jeunes en grande souffrance psychique dans une unité pédopsychiatrique. Après avoir mis des mots sur des émotions très fortes qu’elles ressentaient, plusieurs patientes ont exprimé spontanément qu’elles se sentaient mieux.
 
Il y a deux grands types de bibliothérapie. Il y a une approche anglo-saxonne qui consiste à prescrire des ouvrages strictement informatifs. On préconise la lecture d’essais qui abordent ce dont le ou la patiente souffre, mais jamais de fiction. En France et dans les pays francophones, il y a une approche plus créative, auto-émancipatrice. Dans cette approche, on mobilise des extraits littéraires ou poétiques, et non des essais ou des livres de développement personnel. Ce sont les potentiels de la métaphore, de la polysémie du verbe, de la puissance cathartique d’un récit, qui agissent, résonnent et apaisent. Les mots ont une force d’impact colossale. Ils peuvent blesser. Mais ils peuvent aussi réunir, réparer, si on sait les choisir avec soin.