La fée Linotte ouvre des portes au Centre Hospitalier de Saint-Quentin

Saison : 2022/2023 - Artistes : Le Tas de Sable Ches Panses Vertes - Établissements : CH de St Quentin

Mardi 3 octobre 2023, la comédienne-marionnettiste Fanchon Guillevic, compagnonne du Tas de Sable – Ches Panses Vertes, Centre National de la Marionnette, était au Centre Hospitalier de Saint-Quentin pour présenter l’impromptu A tire d’ailes pour les jeunes patients du service de pédiatrie.

Barbara entre dans la pièce où Fanchon se maquille. « Tu es prête ? demande gentiment la monitrice-éducatrice à sa complice du jour. Je vais voir si Chloé est disponible. » Chloé est une des adolescentes hospitalisées dans le service pédiatrique de l’hôpital. Sa maman est là en ce début d’après-midi, et c’est dans sa chambre que Fanchon, artiste marionnettiste, va jouer la première représentation de l’après-midi.

Pendant que Barbara prépare le terrain, Fanchon termine de recouvrir son visage d’un jaune métallisé. Face à l’évier, elle nous raconte comment se sont passées les représentations précédentes dans les autres services du centre hospitalier. Fanchon en est à sa troisième semaine d’intervention. Elle a joué pour différents services : les résidentes de deux EPHAD, les patients du service d’Oncologie-Hématologie et les enfants hospitalisés du service de pédiatrie. La petite forme scénique qu’elle présente a été spécialement pensée pour être jouée en milieu de soin, en chambre, au chevet des personnes empêchées.

Ce jour-là, en pédiatrie, Fanchon se présente dans 4 chambres. « Elle a du mérite !, commente Barbara Odelot, monitrice-éducatrice. Le fait de s’adapter à différents services n’est pas facile. Les personnes sont différentes. Elles n’ont pas forcément les mêmes attentes, explique-t-elle. Il faut trouver sa place quand on intervient. On entre dans une dynamique particulière à chaque fois. En pédiatrie, il faut être attentive au moindre regard, réflexion, parole. »

Pour Fanchon : « ce qui m’aide c’est d’être solide dans ma proposition, explique l’artiste, je sais que j’ai créé ce spectacle pour les adultes, en milieu de soin. Et je savais qu’il était facilement adaptable pour les ados. L’inverse aurait été plus compliqué. »

Un spectacle en toute intimité

Barbara vient d’aller demander à Chloé, de regagner sa chambre. Fanchon est prête. Elle sort de la salle d’atelier en poussant son castelet. Elle allume la musique et se dirige tout doucement dans le couloir où se trouve la chambre de Chloé. Assises sur le lit du fond, contre la fenêtre, l’adolescente et sa maman attendent le début de la représentation dans le noir. Fanchon entre avec ses sept portes. Elle referme délicatement celle de la chambre derrière elle. Le spectacle se fait en toute intimité, rien que pour Chloé et sa maman.

Barbara, ravie, occupe les autres adolescents autour d’un jeu de société. Elle va bientôt fermer les volets de la deuxième chambre où Fanchon se produira juste après.

« Nous, le personnel de l’hôpital, nous avons un regard professionnel avec des objectifs bien déterminés en fonction des patients. Les artistes quant à eux, apportent un regard neuf. C’est une autre dimension, explique l’éducatrice. Nous, on reste dans le côté médical : quand je les prends en ateliers, même si on est dans une pièce en dehors du service, l’objectif final c’est que l’enfant puisse adhérer aux soins et à la prise en charge psychologique. Les artistes amènent tout à fait autre chose. C’est pour cela que j’aime travailler sur ces projets-là. », confie Barbara.

INTERVIEW / Fanchon, de la poésie « à tire d’ailes »

Quel est l’origine de ton projet A tire d’ailes ?

Cette histoire démarre il y a quelques années. Ce projet est issu de mon double cursus comédienne-marionnettiste et art-thérapeute. Je n’ai jamais exercé en tant qu’art thérapeute mais j’ai gardé des souvenirs forts de mes passages dans les structures pendant mes stages. Et j’ai souhaité y revenir mais en tant qu’artiste.

Quand j’étais en master d’art-thérapie, j’ai conduit une recherche sur le castelet [petit théâtre de marionnettes] adaptable en milieu de soin.  Je voyais la pertinence d’aller au chevet des personnes. J’ai ensuite créé la petite forme A tire d’ailes, qui s’avère être une forme courte, en individuel, au chevet des personnes pour les publics empêchés au départ. Je voulais amener une forme artistique complète, un spectacle, en chambre.

Dès le départ, je voulais proposer une manière de s’évader. Je définis ce spectacle en « spectacle-soin », en tout cas moi c’est la dimension que j’y mets. J’ai pensé l’impact de soin au-delà du geste artistique. Et cela est dû à mon parcours de soignante.

Peux-tu nous présenter le personnage principal Linotte ?

Bien sûr ! Linotte est une fée, mère d’un univers. Elle a une grande robe brune, avec des grandes poches où elles cachent des choses. Elles se promènent toujours avec 7 portes. Elle vient ici pour passer un instant avec les patients. Derrière ses 7 portes, il y a 7 univers…

Comment te sers-tu de ces portes dans le spectacle ?

L’idée des portes m’est venue lors d’une résidence de création. Il s’agissait d’une semaine de recherche sur comment amener le spectacle en lieux fermés. Pour ce spectacle, j’installe les portes en chambre et autour du lit. Pendant la représentation, je fais la proposition d’ouvrir les portes. A chaque ouverture, nous faisons un voyage poétique dans un univers grâce à des lectures de Haïkus et du jeu. C’est précieux pour moi de pouvoir faire entendre de la poésie, et de la poésie qui me touche particulièrement.  Dans ce voyage, il y a aussi des images, de la manipulation d’objets et de lumières. Il y a aussi une marionnette et des silhouettes.

Pour te produire au chevet, tu utilises un castelet. Comment as-tu élaboré cet outil ?

Comme je disais précédemment, j’ai travaillé sur le castelet adaptable en milieu de soin pendant mes études. Mais je ne l’ai pas construit moi-même. Je ne voulais pas. J’ai convoqué Lucas Prieux pour m’aider à construire ce que j’avais dessiné : penser le chariot, le construire, réaliser les mécanismes.

Ensuite, Vincent Lengaine, ami et réalisateur-son a créé la bande son du spectacle. Je voulais vraiment offrir tous les éléments d’un spectacle jusqu’au son et les lumières.

Tout cela a été conçu sur-mesure pour s’adapter aux chambres d’hôpitaux. J’ai quand même dû m’adapter parfois car toutes les chambres n’ont pas un format standard, en EPHAD notamment. Les chambres étaient plus petites qu’à l’hôpital du coup je ne pouvais pas rentrer avec mon chariot. On a donc installé la scénographie ailleurs et ce sont les résidents et résidentes qui sont venus à moi, individuellement. Et cela a fonctionné aussi.

En milieu hospitalier, il faut savoir s’adapter comme disait Barbara Odelot, l’éducatrice avec qui tu as travaillé dans le service pédiatrie. De manière générale, que retiens-tu de ta collaboration avec le personnel ?

Alors, déjà j’étais ferme sur ma proposition : il s’agit d’une forme en chambre, au chevet. Je ne voulais pas renoncer à ça. J’ai proposé de rencontrer les équipes en amont pour leur présenter le projet.  J’ai eu le soutien précieux de la cadre. On a fait une réunion avec le Directeur et les autres cadres et ensuite on a géré par mail avec les équipes. J’ai donné en amont les dates où je venais. Je voulais des semaines entières pour être bien concentrée. Ensuite, j’ai surtout travaillé avec les éducatrices qui font le relais entre les patients, les résidents et moi. C’est tellement particulier d’intervenir en chambre. Je veux que le spectacle leur soit proposé mais absolument pas imposé. Et ce sont elles les interlocutrices identifiées au quotidien. Si besoin, s’il y a un peu de réticence, je viens en chambre pour me présenter. Souvent les animatrices ou éducatrices sont complices. Elles vont en chambre, elles ferment les volets, elles préparent la chambre à ma venue. Ce travail de collaboration avec les équipes est primordial et précieux.