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Du théâtre documentaire pour réapprendre à parler de soi

By | 2023/2024

Vendredi 27 septembre 2024, le collectif l a c a v a l e et les usagers de l’association Ensemble Autrement étaient accueillis à la médiathèque du quartier Moulins à Lille pour la dernière représentation de la pièce Noires mines Samir, écrit et mis en scène par Antoine d’Heygere, et interprété par Adil Mekki.

 

Ensemble Autrement basée dans la métropole lilloise est une association qui travaille avec des personnes en situation de handicap psychique mais aussi en souffrance du handicap psychique. La structure travaille sur l’autonomisation dans la vie quotidienne et dans la vie sociale. Dans le cadre de Plaines Santé, elle a travaillé avec le collectif  l a c a v a l e . Retour en images et en sons sur la représentation du 27 septembre dernier.

Retours en images et en sons avec le diaporama sonore réalisé par Gabriela Téllez et Sidonie Hadoux

Marianne Maravilla , animatrice socio-culturelle pour Ensemble autrement

Pourquoi avez-vous voulu travailler avec le collectif l a c a v a l e dans le cadre de Plaines Santé ? Et comment s’est déroulé le projet ?

Nous étions intéressés par l’aspect documentaire de leur travail afin de travailler avec le public directement sur le vécu. Pour creuser la souffrance psychique, il faut essayer d’apprendre des choses sur soi. Or, la pièce Noires mines Samir raconte l’histoire d’une personne qui parle de son vécu, de ses difficultés : la drogue, l’alcool, l’acceptation de son homosexualité, la religion, tous des questionnements-là que notre public peut avoir.
On sait que ça peut amener à créer une discussion. Pour cela, nous avons pensé le projet en trois temps. Dans un premier temps, on voit le spectacle chez eux, en petit comité. Après le spectacle, le jour même, on goûte tous ensemble. On prend un goûter, un moment convivial où il y a des questions qui sont posées, parfois aussi des moments où chacun a besoin de raconter aussi son vécu.

La deuxième partie du projet consistait en un temps de rencontres dans lequel chacun doit réfléchir à une musique. Et de là, chacun raconte un souvenir avec et à travers cette chanson. On a appris encore une fois beaucoup de choses sur chacun de nos bénéficiaires.

Ensuite, il y avait cette représentation collective. Mais la dernière partie c’est manger un tiramisu tous ensemble, comme dit la fin du spectacle. Chaque habitat partagé, là où ils ont joué vont créer leur propre tiramisu. Et après, on va faire un concours du tiramisu où on goûte tous ensemble pour se dire au revoir.

Trois questions à Adil Mekki, comédien

Et qu’est-ce qui t’as plu quand tu as lu le script ?

Quand j’ai lu le texte, je me suis dit que c’était une histoire qu’on ne porte jamais sur les plateaux. Ce sont des corps qu’on ne voit jamais sur les plateaux. Ce sont des humains qu’on ne voit jamais sur les plateaux. Donc à partir de là, la question est simple : est-ce que c’est moi qui le porte ou pas ? Et oui, j’avais très envie de porter cette histoire-là, je trouvais que ça prenait sens au regard de mon histoire personnelle. Ce mec c’est à la fois mon père, mon grand-père, moi, je veux dire c’est le mec qu’on croise dans la rue, c’est tout le monde et personne à la fois et l’idée c’est d’en faire sur scène un héros tragique dans la mesure où des héros tragiques en fait on en a partout autour de nous, mais on ne les regarde plus parce qu’ils sont tous tragiques maintenant.

C’est toujours l’espoir qui guide ses pas, sa réflexion, ses envies et sa pulsion de vie. Il est animé par l’idée que l’amour existe, que l’amitié c’est fort et que le bonheur c’est ce qu’il faut aller toucher. Et il dit souvent « je voudrais bien être heureux » mais il est toujours confronté à des démons qu’il s’invente, qu’il se crée, qui sont l’autodétermination. Donc c’est un retour au fatum en fait, fatalement on est pleinement dans la tragédie grecque mais avec un personnage on ne peut plus contemporain.

Qu’est-ce que ça t’a fait de le jouer dans le cadre de Plaines Santé, de le montrer à des personnes qui souffrent peut-être de la même maladie que Samir ?

Le dispositif Plaines Santé est apparu comme assez évident pour ce spectacle. C’était la première fois que je me confrontais à un rôle de cette nature, c’est-à-dire une personne souffrant de troubles psychiques, mais ça n’a jamais été une donnée dans le travail aussi.

Dans le travail, dans le processus de création, à aucun moment on s’est posé la question de l’impact de ces troubles-là sur l’addiction ou le corps. C’était vraiment des indications de jeu comme on aurait pu dire d’un Roméo, d’une Juliette. Il n’a jamais été question de l’impact de la maladie dans le corps et dans la voix. Aussi, pour moi jouer devant des personnes qui connaissent ce parcours plus ou moins de loin me paraît comme nécessaire pour dire : « on vous voit, en tout cas moi, je vous vois, je vous sais et je suis là avec vous. »

C’était la dernière représentation dans le cadre de Plaines Santé aujourd’hui. Il y a eu beaucoup d’émotions. Tu les as remerciés pour ces rencontres intenses. Est-ce que tu aurais quelque chose qui t’a marqué particulièrement, que tu aurais envie de nous partager ?

L’association Ensemble Autrement a été une vraie rencontre. Je suis très content d’avoir fait la rencontre de ces femmes qui portent haut des valeurs d’humanisme. Je suis très content d’avoir rencontré ce pan de la société aussi, et je parle des personnes qui s’occupent des personnes qui souffrent. Le social ça existe, c’est fort, c’est beau, c’est une vraie leçon d’humilité. Je crois que dans chaque parcours d’humain on devrait passer par ça, et c’est très important. Et puis après, moi ça m’a donné envie de m’engager encore plus. Je le suis déjà dans mon artisanat, mais de l’être plus au jour le jour. L’engagement existe aussi dans la vie de tous les jours, et c’est ce que font ces femmes.

Les oiseaux swinguent à l’EPSM de la Somme

By | 2023/2024

Jeudi 12 septembre 2024, le trio vocal The Swing Birds étaient à l’EPSM de la Somme pour une journée d’impromptus dans le cadre de Plaines Santé. Chorale minute et siestes sonores étaient au rendez-vous.

Retours en images et en sons avec le diaporama sonore réalisé par Gabriela Téllez et Sidonie Hadoux

« Personnellement j’ai beaucoup pleuré, raconte Eva sous l’œil bienveillant et amusé de ses comparses. L’autre jour, lors de nos passages en chambre, j’ai discuté avec Monique, qui m’a parlé de son chemin et des raisons de sa présence ici. C’était un échange très précieux. Par le chant, j’ai eu l’impression de lui donner un peu de bonheur. Elle s’est souvenue d’une chanson. Elle ne savait plus pourquoi elle la connaissait et où elle l’avait apprise mais elle s’est réjouit que sa mémoire fonctionne encore ! »

La chanson dont se souvient Monique est celle de Charles Aznavour, Formi-formidable. Eva Gentili, Perle Solvès et Alice Fraiche Pech, les trois chanteuses la reprennent en harmonie devant le public de l’unité de psycho-gériatrie de l’EPSM. Une chorale minute se dessine ensuite avec une autre chanson.

« L’idée était de proposer différentes choses selon les publics, explique Alice Fraiche Pech. Un instant en tête à tête, en chambre, pour un vrai échange. J’avais aussi très envie de mêler les patients et les soignants en proposant des siestes sonores. Enfin, nous proposons un atelier où nous créons ensemble sous la forme d’une chorale minute ».

Après la pause déjeuner, le trio se rend dans un autre établissement de l’EPSM, l’hôpital de jour pour adolescents. Cette fois, c’est une sieste sonore qui attend les patients et le personnel, ravit de se voir offrir cette pause bien méritée.

Pierre-Antoine Joliveau, infirmier cadre santé, responsable de 3 unités auprès d’adolescents à l’EPSM de la Somme :

« Faire venir des artistes au sein de l’établissement crée de la surprise pour des jeunes qui rencontrent des difficultés dans leur quotidien, dans leurs familles d’accueil, ou dans leurs foyers. Parfois le seul accès à la culture qu’ils ont passe par la télévision. Or, c’est face à l’inattendu, qu’on repère leurs capacité d’adaptation. Les jeunes ont pris plaisirs, chacun à leur façon car ils ont des troubles différents. Certains n’ont pas été en capacité de s’allonger mais ils étaient présents pendant que d‘autres étaient dans l’exercice à 100%. Et pour le personnel, c’était un moment de détente et de plaisir aussi. Un professionnel qui prend plaisir, accompagne un peu plus facilement les jeunes. »

La Rose de Picardie s’ouvre aux haïkus dansés de la compagnie Tourne au Sol

By | 2023/2024

Dans le cadre de Plaines Santé, la compagnie Tourne au Sol a été accueillie par les Hôpitaux d’Albert et Corbie, en Picardie. Le 25 septembre 2024, quatre artistes de la compagnie,  Paul, Madeline, Eugénie, et Félix – étaient présents au sein de la résidence Rose de Picardie pour proposer une déambulation poétique aux résidents et résidentes de l’établissement. Les Centres Hospitaliers d’Albert et de Corbie sont en Direction commune depuis septembre 2017, deux hôpitaux de proximité labellisés, deux hôpitaux appartenant au GHT Somme Littoral Sud. Ils ont tous deux la particularité de compter un versant sanitaire et un versant médico-social.

– Est-ce que tout le monde est là où on attend encore du monde ? demande Paul

– C’est bon, on peut y aller.

« Bonjour à toutes et tous, nous allons commencer la promenade, mais pour cela, je vous invite à vous déplacer. Suivez-nous. », lance Paul à la petite équipe de résidents et résidentes assis dans le hall d’entrée. Quelques minutes sont nécessaires à la troupe pour rejoindre le point de départ de la balade, à quelques mètres de là, au fond du couloir.

– Claudette tu peux reculer ? Je vais installer Anne-Marie à côté de toi, demande une éducatrice.

Face au salon de coiffure, les personnes regardent avec curiosité les artistes. La fontaine décorative offre ses petits bruits de clapotis en fond sonore.

Les quatre artistes se présentent : Félix, Eugénie, Madeline et Paul. Avant de commencer l’impromptu, ils expliquent leur proposition : une déambulation sonore, dansée et poétique dans le couloir de la résidence.  « J’aime bien dire que nous laissons penser nos corps », explique Paul, après avoir présenté les haïkus, de courts poèmes japonais que les 4 artistes s’apprêtent à interpréter avec leurs corps.

« Lucioles, lucioles »

Alors que la petite troupe se dirige vers le couloir pour entamer la balade, un résident sort de sa chambre, mine patibulaire, mais néanmoins intriguée par ce qui est en train de se passer. Sans un mot, il fait des petits pas saccadés pour faire avancer sa chaise roulante, sans avoir à trop forcer sur ses bras. Il suit le cortège sans trop de difficulté. Le rythme est lent, indolent comme un serpent endormi. Il passe devant la chambre 54, celle de Pierre, imperturbable quant à lui devant sa télévision. Derrière sa porte, Eugénie danse le haïku sur les mains.

En tournant à droite au fond du couloir, on retrouve le groupe qui s’est arrêté. Paul vient de sortir un papier de sa chaussette où il est y est inscrit un second haïku.

« Sous le divin nez du divin Bouddha »

– Pouvez-vous me donner un chiffre entre 1 et 6 ?

– 6 !

« Sous le divin nez du divin Bouddha pend une morve de glace » répète Eugénie plusieurs fois.

D’autres haïkus suivent.

Les corps des artistes bougent au milieu du public. Puis Paul agite ses quilles de jonglage en se dirigeant vers le hall. Il invite ainsi le groupe à continuer la promenade. Dans le hall d’abord, puis dans le réfectoire. Il est bientôt l’heure du déjeuner et les bruits des charriots du personnel de cuisine accompagnent les pas de Madeline qui cueille des fleurs imaginaires. Les verres titillent au loin. « Où sont les sets de table ? », demande une voix grave dans la cuisine.

Le groupe se réunit au centre de la salle à manger. A l’angle du mur de la cuisine, les cuisinières s’agglutinent discrètement, curieuses. Imperturbable, une résidente tricote sur une chaise sans même lever son regard.  Sur une autre table, un monsieur lit son journal en lançant des regards curieux de temps en temps tout en restant absorbé par la lecture des actualités locales. 

Les artistes se placent aux quatre coins du groupe et le dernier haïku est récité en canon. L’effet est réussi. Les résidents oublient pour quelques instants leurs estomacs qui gargouillent, enveloppés dans une sensation étrange créée par les voix des artistes et les mots qui s’entrechoquent. Puis, le mouvement revient, encore une fois, une dernière fois. Félix et Paul jonglent entre les résidents. Madeline déambulent en dansant pendant qu’Eugénie tient debout sur ses mains. Les regards des membres du public sont attentifs, amusés parfois, circonspects pour d’autres. La musique s’arrête. Les mains applaudissent. Les bouchent sourient et remercient.

« C’était bien, beaucoup de souplesse ! réagit Jean-Pierre. Quand j’étais jeune, je savais aussi marcher sur les mains. » Gisèle quant à elle est stupéfaite : « C’est incroyable que l’on pense encore à nous comme ça ! »

« La poésie me touche beaucoup de manière générale. Le fait d’avoir un travail à la fois corporel et vocal sur de la poésie m’intéressait particulièrement », réagit Eugénie à la fin de l’impromptu. « Le format balade était aussi intéressant pour créer la rencontre, mettre tous les corps en mouvement et ne pas être en spectacle fixe. »

Pour Félix, ancien orthopédiste, Plaines Santé lui permet de faire le lien entre son ancienne et sa nouvelle activité : « J’aime proposer de la proximité et du contact avec des personnes en milieu hospitalier », précise-t-il. 

« Au flanc d’une montagne, je me suis raccrochée »

By | 2023/2024

Le mardi 1 er octobre 2024, les résidents et résidentes de la Maison d’accueil spécialisé (MAS) de Oignies accueillaient Le Théâtre de l’autre côté, en la personne de sa metteuse en scène et comédienne, Valérie Fernandez, et de son compositeur Ignacio Plaza.

Adrien, Jérémy, Pascal, Djénat, Nicolas, Kelly, Luc et Dorothée sont installés dans la salle d’activité de l’établissement. C’est la quatrième fois que la compagnie vient leur rendre visite dans le cadre du dispositif Plaines Santé.

Ignacio Plaza et Valérie Fernandez s’installent en demi- cercle. « Au flanc d’une montagne, je me suis raccrochée » entame en chantant la comédienne. Les deux artistes vont interpréter leur spectacle Le dernier mot, inspiré du conte de Jean-Claude Carrière qui s’appelle Le Marchand de mots.

Installée dans son fauteuil adapté, Kelly semble apprécier le bruit de la clarinette. Elle sourit et joue avec la main de Dorothée, la psychomotricienne du lieu. Sa main virevolte en rythme. Adrien aussi réagit en poussant quelques cris, et à sa droite, Jérémy sourit à l’écoute des mots « coussin » et « yaourt ». Tout proche de la comédienne, Nicolas a la tête posée dans ses bras. Il ne regarde pas, mais soudain, il agite sa main et la maracas qu’elle détient.

Interview de Dorothée Gillet, psychomotricienne et référente culture à la Maison d’Accueil Spécialisé (MAS) de Oignies

Comment avez-vous travaillé avec la compagnie Le Théâtre de l’autre côté ?

Valérie, metteuse en scène et comédienne de la compagnie nous a suggéré de faire des petits groupes dans les différentes maisonnées. Elle ne voulait pas des groupes trop nombreux. Comme le spectacle tourne autour d’un conte et une recherche sur la sonorité des mots, nous avons un peu listé avec Séverine, l’animatrice socio-éducative de l’établissement, les personnes qui étaient sensibles au son. Par exemple Kelly, Nicolas, Adrien, tous ceux qui aiment bien les petits chuchotements, les petits bruits.

Est-ce qu’il y a eu des réactions ?

On voit qu’il y a des réactions comme des sourires, le regard attentif et des mouvements volontaires, effectivement avec les sons des instruments de musique et des petits objets sensoriels qu’elle amène. Je vois qu’ils sont sensibles, ils réagissent donc ça correspond bien à certaines personnes.

Cela se passe d’habitude dans leurs lieux de vies. C’était la première fois en salle de vie dans les maisonnées. Est-ce que cela a changé la réception des résidents et résidentes ?

Les bruits sont un peu plus ronds à cause du haut plafond. C’est peut-être aussi plus chaleureux et donc convivial. Le seul inconvénient, c’est qu’il y a du passage, le bruit des verres et de la vaisselle. Il faut bien choisir ses créneaux, mais ça s’est finalement très bien passé.

ITW de Valérie Fernandez, responsable artistique de la compagnie Le Théâtre de l’Autre Côté, metteuse en scène et comédienne.

Quel projet présentez-vous pour Plaines Santé ?
On a monté tout un projet autour d’un conte de Jean-Claude Carrière qui s’appelle Le Marchand de mots et autour duquel on développe des rencontres, des capsules de mots et un spectacle qui s’appelle Le Dernier Mot.

Autour de ce spectacle, on propose aux gens de partir en cérémonie pour devenir eux-mêmes des marchands de mots. C’est un voyage pour découvrir le conte et aussi un moment qu’on appelle nous, sophrologie, dans lequel ils vont partir au pays de leur monde intérieur pour trouver leurs mots-talisman. Ensemble, nous mettons en valeur la force du mot en lui-même, une force performative, comme si le mot était vraiment une formule magique qui permet d’accéder à soi et de partir à la rencontre du monde aussi puisqu’on parle beaucoup du plurilinguisme.

Pourquoi avez-vous choisi cette création pour Plaines Santé ?

C’est un spectacle prévu pour être en intergénérationnel idéalement., donc ça peut-être en EPHAD. Au niveau de la scénographie, il n’est pas prévu spécialement pour être joué dans des milieux plus médicalisés. Mais dans ces cas, on fait plutôt ce qu’on appelle des explorations collectives.

Dans le cadre particulier de Plaines Santé, j’avais envie d’en profiter pour explorer la partie vraiment musicale et résonante de la voix par rapport aux mots. On n’est pas venu pour enregistrer spécialement une capsule de mots, mais plutôt pour aller plus loin dans l’exploration improvisée, l’exploration vocale des mots.

Vous dîtes que vous vous adaptez au groupe, que c’est un peu différent à chaque fois. Aujourd’hui, à quelle forme avons-nous assisté ?

Aujourd’hui, je suis avec Ignacio Plaza, qui a composé la bande-son du spectacle. Je suis venue aussi sur quelques séances avec Sarah Tullamore, qui est l’interprète et chanteuse. J’avais envie d’en profiter pour faire comme un petit chantier d’exploration et voir ce qui se passe quand on rencontre des personnes qui ont des déficiences cognitives, et comment venir les rencontrer sur le terrain de la sensorialité et de la vibration.

Et donc, qu’est-ce qui se passe justement ? Qu’avez-vous trouvé ?
C’est surprenant de voir tout ce qui peut passer en un regard, en une sensation. On arrive assez vite à choper les personnalités des usagers ici. C’est juste quand on propose un mot, on se dit « ah bah oui, je vois ton caractère, ça pose cette couleur ». Finalement, au-delà du handicap, qui est très différent à chaque fois, il y a des personnalités.

C’est ça que j’en retiendrai, c’est qu’au final, il y a un temps d’adaptation pour nous parce qu’on n’est pas sur les mêmes facilités de communication, et donc il y a un temps d’apprivoisement, on tâtonne un peu, et puis on avance avec une proposition qu’on ne fait pas du tout comme on avait dit qu’on ferait au début. Et puis parfois si, comme aujourd’hui, on s’était vraiment dit qu’on les amenerait sur le terrain du conte, en mode spectacle avec des interactions avec eux.

Trois questions à Boris Oudelet, directeur du pôle Hébergement et Vie Sociale de l’ AEI, basée à Tergnier

By | 2023/2024

Clémentine Vanlerberghe, danseuse et chorégraphe, et Fanny Wilhelmine Derrier Mbaye, artiste vidéaste et collagiste interviennent auprès des résidents depuis plusieurs jours. Elles viennent le vendredi, quand les résidents terminent leur semaine de travail. Ensemble, ils réalisent des collages et des vidéos sur le thème des émotions. Cette thématique répond à la pièce Gratia lacrimarum, de la compagnie. « J’aime appeler ça une performance augmentée, raconte Fanny. Nous venons avec la pièce mais nous l’enrichissons avec les productions des résidents ».

Ce jour-là, Florence, Amélie, Thierry et les autres sont heureux de réaliser les collages sur la tristesse et la joie. Entre deux découpes, ils rejoignent Clémentine pour des brèves chorégraphies improvisées…devant la caméra !

Fin septembre, Clémentine et Fanny ont présenté la pièce revisitée devant l’ensemble des résidents.
Vous pouvez la visualiser en cliquant sur ce lien:

Pour commencer, pouvez-vous présenter l’AEI, association pour l’Aide aux Enfants Inadaptés ?

L’association a été fondée par des cheminots en 1964. Aujourd’hui, elle se compose de trois pôles. Le pôle enfance est spécialisé pour les enfants souffrant de différents troubles, de handicaps, intellectuels notamment. Ensuite, il y a un pôle travail protégé, anciennement CAT, aujourd’hui ESAT, qui accueille 223 travailleurs handicapés. Et le pôle que je dirige, le pôle hébergement et vie sociale, dispose de deux structures d’hébergement, ouvertes toute l’année, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, et d’un service d’accompagnement à la vie sociale, qui accompagne à peu près à l’année entre 80 et 90 personnes qui, elles, sont en situation de grande autonomie et vivent dans leur domicile. Des professionnels de type éducateurs spécialisés les accompagnent selon les besoins et les demandes. 

C’est la première fois que vous participez à Plaines Santé, qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce dispositif ?

Alors, deux choses. Il y a bien sûr le côté ouverture sur le monde de la culture. Au quotidien, nous travaillons beaucoup avec les centres culturels locaux, les centres sociaux, etc. On essaie que nos établissements soient ouverts sur l’extérieur et que nos résidents puissent accéder à la culture.

Deuxièmement, il y a un paramètre qui est important à souligner : c’est la question de l’argent. Aujourd’hui, nous sommes financés par le département. Ils prennent en charge les salaires, les frais de gestion, les charges courantes. En revanche, tout ce qui traite à la culture, c’est plus compliqué : c’est à nous d’aller chercher différents modes de subvention et de financement. Le dossier pour candidater à Plaines Santé était relativement léger à monter. Cela nous a permis de postuler en un quart d’heure, puis d’être sélectionnés avec une subvention à hauteur de 15 000 euros.  Même si elle est directement distribuée aux artistes, cela nous permet d’avoir 15 demi-journées d’impromptus sans à avoir à débourser un centime. J’insiste mais sans ces dispositifs, on ne pourrait pas offrir à nos résidents ce type de prestations. 

Boris Oudelet

Qu’est-ce qui est intéressant dans le fait que les artistes viennent dans vos murs ? 

Les politiques publiques nous enjoignent à faire ce qu’on appelle de l’inclusion. C’est-à-dire, à encourager nos résidents à sortir hors les murs. Ce qu’on fait tous depuis longtemps. De plus, il y a une liberté de circulation totale, puisque ce sont des adultes. Même s’ils sont en situation de handicap, ils ont les mêmes droits que vous et moi. Sortir dans la cité, c’est important. Et nous en faisons fait la promotion tous les jours. 

En revanche, je trouve ça tout aussi intéressant que ce soit l’extérieur qui vienne à nous pour découvrir comment les gens vivent ici. Quel est le quotidien quand on présente un handicap intellectuel et qu’on vit en établissement ? On s’aperçoit vite que c’est de l’habitat collectif, comme on en trouve dans d’autres quartiers de la ville. Cela permet de combattre certaines représentations ou stigmatisations. Nous sommes très heureux d’accueillir chez nous des personnes de l’extérieur.

Plaines Santé présente aussi cet intérêt-là : il y a des artistes qui vont désormais se soucier de comment vivent les gens, dans quelles conditions, et qu’est-ce qu’y est fait en structure d’hébergement pour adultes.

Découper, coller et danser ses émotions à la résidence Le Cèdre de Quessy

By | 2023/2024

Vendredi 19 juillet 2024, la compagnie cats&snails était à Quessy dans l’Aisne pour intervenir auprès des résidents du pôle hébergement et vie sociale de l’AEI. Retour en sons et en images sur cet après-midi animé, entre découpages, collages et d’expression corporelle.

Retours en images et en sons avec le diaporama sonore réalisé par Gabriela Téllez et Sidonie Hadoux

La musique et les rencontres avec June Bug

By | 2023/2024

« Je ne suis pas là que pour le spectacle, je suis là aussi pour les rencontres », Thomas


Le mardi 14 mai 2024, le foyer de vie Victor Morel à Campagne-les-Hesdin, accueillait le duo de musiciens June Bug dans le cadre de Plaines Santé. Ce matin-là, les artistes inauguraient avec les résidents et le personnel le hall d’entrée du foyer, fraîchement rénové. L’après-midi, les résidents étaient invités à assister à un concert dans le réfectoire. Découvrez cette journée en visionnant le diaporama sonore.

« Je ne suis pas là que pour le spectacle, je suis là aussi pour les rencontres », clame Thomas Lavie, résident du foyer Victor Morel. Thomas fait partie du petit groupe de personnes qui travaille dur pour mettre en œuvre le projet Plaines Santé au sein de l’établissement. Avec leur éducateur spécialisé, David, Thomas, Davilane, Claude et bien d’autres participent de la commission culture santé handicap du foyer. Ils ont travaillé ensemble à écrire leur candidature, puis, une fois sélectionné, ils ont lu et analysé les dossiers d’artiste. « Votre dossier coup de cœur c’était June Bug, se souvient David. La rencontre s’est faite de manière très humaine, poursuit-il. On peut dire que ça a bien matché entre les artistes et les résidents ! ».

David Vermeulen

Pour les membres de la commission, l’envie était très claire : « en faire profiter tout le monde ! ». « Au foyer, certains résidents ne sortent pas de leur chambre, or on voulait vraiment que les artistes aillent aussi à leur rencontre, explique Thomas. C’est important de partager ce moment avec tous, y compris le personnel ! ». A ses côtés, Davilan et Claude sont aussi très fiers d’avoir œuvré au projet, et heureux d’avoir représenter tous les résidents du foyer.

Créer une dynamique sur le long terme dans l’établissement

« Il y a beaucoup d’énergie et de rêvasserie, c’est ça qu’on recherche et qui nous fait du bien à tous », se réjouit Béryl, auteur compositeur et interprète. « Quand on va de couloir en couloir, on peut commencer à jouer nos compositions, et puis, assez vite on sent que les résidents ont envie de chanter la chanson d’un artiste qu’ils aiment alors on s’adapte ».
Le dispositif du duo est simple : « Un set avec des petits jouets, des machines pour donner du peps et de la pulse, de la guitare folk et nos voix » précise Sarah, autrice compositrice et interprète également. « Il y a vraiment une continuité car on vient à peu près une fois par mois sur toute l’année. Et cette continuité d’habitude on ne l’a pas souvent en tant qu’artiste, là on se rencontre, on se connaît, on créé un lien fort. ». Un sentiment de joie et de réussite partagé par tous : «C’est un vrai partage et une belle dynamique qui s’installent au sein de l’établissement », ajoute David, ravit.

Lune bleue et soleil vert au Centre Hospitalier de Soissons

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Jeudi 11 juillet 2024, le duo Le quadrille des homards était au sein de la résidence Saint-Lazare du Centre Hospitalier de Soissons pour une après-midi de danse et de dessin.

Sarah Nouveau lance un bras vers le ciel et se contorsionne légèrement vers la droite. Les deux pieds sur un tapis de yoga, elle s’étire. A sa droite, Caroline Chopin, sculptrice et dessinatrice, trie ses crayons. « Nous avons remarqué que c’est plus puissant dans l’intime, s’exclame Caroline. Et puis même si on appelle cela des impromptus, on les prévient en amont car le côté surprise ne fonctionne pas bien avec ce public. » Les deux artistes déambulent depuis trois semaines dans la résidence Saint-Lazare du centre hospitalier de Soissons au chevet des résidents. « La réception est différente en fonction des personnes, poursuit Sarah. Il faut un peu de temps pour briser la glace parfois. » Sarah est danseuse. Cette après-midi elle propose de courtes performances chorégraphiques. Pour cela, les résidents sont d’abord invités à choisir des cartes : des formes, puis des couleurs. Leur choix influence la musique et la danse que Sarah effectue ensuite sous leurs yeux. Au même moment, Caroline dessine le corps de son amie danseuse qui se meut. A la fin de la performance, l’artiste offre le dessin aux spectateurs.

Une dame apparait à la porte d’entrée de la salle d’activité où Sarah finit d’étirer ses mollets. Elle semble soucieuse, le visage fermé. C’est Sylviane, une résidente. « Ce sera en haut, dans le salon Chopin, on arrive, on va vous y emmener », lui explique Peggy Wozniak, coordinatrice de l’ animation de l’établissement. Elle parle fort en articulant exagérément pour que Sylviane qui souffre de surdité puisse lire sur ses lèvres. Quelques minutes plus tard, ils sont 5 résidents à s’installer sur les canapés du salon Chopin.  Sarah mélange les cartes et la petite équipe choisit 2 images. Soudain les premières notes de musique sortent de la petite enceinte que Sarah tient dans ses mains. Elle la repose et entame une première danse. Caroline, assise au milieu du public débute son dessin.

« Comme au spectacle »

Dans le public, les sourcils de Sylviane se défroncent. Elle sourit et regarde apaisée le spectacle qui s’offre à elle. Sylviane n’entend plus, mais elle voit, elle voit le corps de la danseuse. Elle voit les doigts de la dessinatrice qui glissent sur la page blanche. A sa gauche, Joséphine a les yeux pétillants et la bouche ébahit. Elle suit les mouvements de la danseuse avec sa tête, dans une chorégraphie bien à elle. Elle ne la quitte pas des yeux. Elle rit, pousse des petits cris d’enthousiasme. « Si on faisait ça tous les jours, on serait en forme », s’écrie-t-elle à la fin de la chorégraphie. Elle rit, et son rire danse aussi dans le petit salon. Puis, les résidents se lèvent pour une valse. Maryse, une des animatrices, saisit le bras de Sylviane et l’entraine sur la piste. En quelques secondes, tout le monde est debout. Petits pas. Petits pas. Petits pas…

Quelques minutes plus tard, une seconde représentation a lieu un peu plus loin dans le couloir. Cette fois, c’est sur les vitres que dessine Caroline. Puis, le duo se rend dans la chambre 46 où Josiane se repose dans son lit. « Bonjour madame, comment allez-vous ? demande Sarah », « Vous pouvez éteindre la télé ? demande poliment Caroline, vous serez comme au spectacle ». Josiane s’amuse : « J’ai bonne mine aujourd’hui ça tombe bien ! C’est ma première sortie officielle » dit-elle avec humour.

Pour Peggy Wozniak, le projet est une réussite : « Je les ai accompagnées plusieurs fois lors de leurs interventions et j’ai vu des sourires, des larmes, de l’émerveillement. C’est magique ! », réagit-elle.

« C’est quoi le ciel pour toi ? »

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Du 20 mars au 25 juin 2024, l’artiste plasticienne et scénographe Ingrid Buffetaud s’est rendue à raison d’une demi-journée par semaine à la clinique Marie Savoie au Cateau Cambrésis (59) dans le cadre de Plaines Santé. L’artiste a proposé une installation aux allures d’atelier où le ciel est donné à voir à travers des images et témoignages collectés. Interview.

Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Ingrid Buffetaut, je suis artiste plasticienne et scénographe, diplômée de l’école des arts décoratifs de Paris. Mais dans le cadre de Plaines Santé, j’ai proposé un projet qui s’apparente davantage au domaine des arts visuels.

Peux-tu nous parler de ton approche de manière générale ?
En termes de création, je suis sur le dessin et l’espace, d’où ma double casquette d’artiste plasticienne et de scénographe. Comment le public peut se mouvoir au sein de l’œuvre ? Comment il se déplace avec une œuvre ? Ce sont des questions qui m’intéressent dans mon travail de scénographe. Je travaille principalement pour le spectacle vivant et parfois pour des expositions. En ce qui concerne le dessin, j’ai une pratique très académique, mais j’aime opérer un twist parfois en me focalisant un détail précis dans l’image. Je peux parfois garder uniquement un détail et effacer tout le reste. J’ai un intérêt pour les choses très ordinaires. Je me questionne aussi beaucoup sur comment aller chercher le regard des autres et comment comprendre ce regard.

Qu’est-ce-qui t’a amené à candidater à Plaines Santé ? Qu’es-tu venu « chercher » ?
J’ai tout de suite pensé au projet « C’est quoi le ciel ? ». J’avais envie de rencontrer des personnes que je n’aurais pas pu rencontrer dans des lieux dédiés comme une galerie. J’ai envie de croire que l‘art contemporain ne s’intéresse pas qu’aux regards des élites. Chaque regard compte. Il faut casser les barrières. Avec « C’est quoi le ciel ? » ce n’est d’ailleurs pas la première fois que je sors des lieux type galerie, je préfère le déployer dans des évènements culturels. Mais c’était la première fois en milieu hospitalier.

Est-ce que tu avais déjà travaille avec des personnes empêchées ?
Non, c’était la première fois et ce fut une vraie découverte. Mais j’ai été très bien accompagnée pour cela, que ce soit par le BIP ou par les équipes de l’hôpital.

On en a déjà un peu parlé, mais tu as proposé l’installation participative « C’est quoi le ciel ? » : pourquoi celui-ci ?
Pour aller à la rencontre d’un nouveau public mais aussi car c’est un projet malléable, léger, facile à déployer dans des lieux très différents.

Peux-tu nous parler des prémices de ce travail : comment est né ce projet ?

J’ai commencé ce projet en 2018. C’était mon projet de diplôme. A l’école, on a dû travailler pendant un an sur un projet de création. Nous étions seuls, en autonomie, et en dialogue avec nos professeurs. Parfois j’étais un peu perdue dans mes recherches. On nous avait demandé de partir d’un texte. J’avais choisi L’étranger, de Camus, qui est un de mes livres préférés. On pouvait s’éloigner du texte d’ailleurs au fur et à mesure, et c’est d’ailleurs ce que j’ai fait. Je me suis beaucoup éloigné. Mais au début de la recherche, je suis partie de l’idée que je n’arrivais pas beaucoup à communiquer avec mes professeures. Et dans un élan très dramatique j’ai conclu que l’on ne pouvait pas se comprendre entre êtres humains. Puis, j’ai tourné ça en : c’est difficile d se comprendre mais on peut s’en rapprocher le plus possible. C’est ainsi qu’est venue l’idée de faire réagir des personnes sur un même élément, un élément que l’on a en commun comme le ciel, et de découvrir qu’on y met tous quelque chose de différent. Le ciel était un élément pratique car il revêt plein de significations, d’interprétations, d’approches. C’est un projet porté non pas sur le ciel, mais sur la multitude de regards qu’on porte sur le ciel.

Comment l’as-tu mis en place dans le cadre de Plaines Santé ? As-tu travaillé avec les équipes soignantes pour cela ?

J’étais très autonome. J’avais pensé le dispositif en déambulation. Je me promenais et j’allais à la rencontre des gens avec pour seule limite de ne pas aller en chambre. Je trouvais cela trop intrusif. Et puis, j’ai installé une exposition permanente mais évolutive dans les couloirs. A chacune de mes venues, j’ajoutais des éléments : des textes collectés dans les sessions précédentes et des images du ciel imprimées sur des grands voiles. Je voulais aussi leur offrir une respiration à travers cette installation. La lecture peut rebuter, en plus les textes sont écrits assez petits. Alors si les patient.e.s ne voulaient pas lire, ils et elles pouvaient venir pour regarder le ciel. Les patients venaient me parler, cela attisé leur curiosité. Ils et elles me reconnaissaient car les personnes sont souvent hospitalisées sur du temps long.

D’un autre côté, j’ai aussi fait des ateliers avec l’art thérapeute de la clinique. Nous avons mixé nos pratiques pour proposer des temps de création aux patients.

Et puis pour finir, hier d’ailleurs, nous avons organisé une restitution. J’ai rassemblé tous les témoignages dans une exposition et j’ai réalisé une édition papier pour que les personnes gardent une trace.

Comment ont réagi les patients ?

Ce n’est pas toujours évident de faire sortir les gens de leur chambre. Je me suis rendue compte qu’il y avait beaucoup d’actions proposées au sein de la clinique mais que peu de gens y vont. Parmi les gens que j’ai rencontré, il y en a eu a qui cela a parlé fort, et d’autres pas du tout. Mais c’est toujours comme ça. Pour certaines personnes, leur manque d’estime de soi rendait la prise de parole difficile. Pour d’autres, il était trop douloureux d’évoquer le ciel car cela les ramenait à des êtres chers disparus. Mais globalement, ce fut bien accueilli. Certains étaient très volontaires, voire ont participé plusieurs fois. Certains se sont appropriés le dispositif et ont posé leurs propres conditions : ils ne voulaient pas être enregistrés mais ont préféré écrire des poèmes. Lors de la restitution, une personne m’é écrit un mot où j’ai pu lire « Merci de nous avoir permis de nous exprimer librement ». C’était chouette car c’était le but !

Parmi les intentions que tu as mises dans cette installation, il y a la volonté de « pousser les participantes et les visiteurs à s’intéresser au regard de l’autre ».

Est-ce que cela a fonctionné ?

Je ne sais pas si les gens en ont beaucoup discuté entre eux. Mais cela a créé des formes de curiosité : en lisant les textes, les personnes essayent de reconnaître qui avait pu les écrire. Les hospitalisations sont longues dans cette clinique, alors tout le monde a le temps de se connaître un peu. Une fois aussi je discutais avec un patient et à la fin il m’a dit : « Et pour vous, c’est quoi le ciel ? ».

Tu as écrit aussi au sujet de cette installation vouloir leur faire « prendre conscience de la particularité de leur regard et de leur légitimité en tant que spectateurs et spectatrices. » Est-ce qu’il y a aussi une volonté de démocratiser l’art contemporain ? et pourquoi ?

J’ai une formation en art, or je ne me sens pas particulièrement faire partie du monde l’art contemporain car je ne suis pas représentée par une galerie par exemple. Et au fond, j’aimerais l’être. Mais je me sens encore en dehors. Ce projet s’adresse à des personnes qui ne se sentent pas légitimes à donner un avis sur l’art. Ok, l’art est une expérience esthétique en premier lieu, une relation très individuelle du spectateur à l’œuvre. Mais je voulais aussi leur dire que leur regard fait œuvre, il fait même partie de l’œuvre. C’est ma manière de leur dire que chaque regard est intéressant.

Est-ce que tu as pu avoir des discussions au sujet de l’art avec les patients par exemple ? Si oui, une anecdote ?

Non. Nous n’en avons pas parlé frontalement. On a parlé du ciel sans aller au-delà. Je ne voulais pas forcément aborder ce sujet de manière directe car les gens se ferment. C’était une invitation un peu cachée à réfléchir à ces notions.

Et toi, qu’est-ce que tu as découvert suite à cette expérience ? En tant qu’artiste, est-ce que cela est venu te questionner sur de nouveaux champs ? Est-ce que cela t’a bousculé à certains endroits ? conforter dans d’autres ?

Cela m’a conforté dans l’idée que ce projet parle à des gens, qu’il fonctionne. Ensuite, j’ai trouvé que l’exposition temporaire était aussi un bon moyen de les aborder, et de les faire venir à leur guise, pour lire ou pour regarder. Mais le point de ce projet qui reste le plus à travailler est sur le fait de faire participer les gens. Il y a encore des barrières. La question est très vaste donc pas toujours facile.

Si tu devais refaire Plaines Santé, qu’est-ce que tu garderais et qu’est-ce que tu changerais ?

J’ajouterais plus d’activités annexes pour amener les gens à participer. Je me suis concentrée sur la déambulation dans la clinique, c’était bien, mais je pense que des ateliers dessin ou peinture autour de la thématique du ciel auraient pu alimenter l’installation.
Je garderai l’édition papier car j’ai trouvé ça bien que les participants puissent repartir avec quelque chose.

Antoine Besoin, responsable des soins à la clinique Marie Savoie

La clinique Marie Savoie participe pour la première fois à Plaines Santé. C’est un établissement de réhabilitation psycho-sociale et professionnelle qui reçoit des patients avec des troubles psychiques stabilisés. Pendant 10 mois d’hospitalisation complète, les patients sont accompagné.e.s dans un projet personnel ou/et professionnel pour retrouver leur autonomie.

C’est votre première participation à Plaines Santé, pourquoi avez-vous souhaité participé ?

Disons que l’offre a créé le besoin. Quand l’appel d’offre a été publié, notre Directrice nous la transmis et nous avons candidaté. On ne s’imaginait pas être sélectionnés et puis la bonne nouvelle est arrivée. Nous avons réussi à mobiliser les équipes qui ont choisis 3 propositions artistiques  dont  celle   d’Ingrid  Buffetaut,    C’est quoi le ciel ?

Justement, il y a peu d’artistes visuels qui participent à Plaines Santé. En quoi cette proposition vous semblait intéressante pour vos patients ?

En faisant nos choix, nous essayions de nous projeter dans ce que cela pourrait donner dans un lieu de soin. Ce n’est pas un lieu anodin. On voulait quelque chose de vivant. L’exposition permanente et évolutive nous semblait intéressante. Nous étions curieux de voir la réception des patients.

Et donc, quels retours de la part des patients ?

L’émotion qui est ressorti le plus était l’intrigue. Ils venaient me voir en me demandant : « c’est quoi ça ? », « pourquoi ? », « qui est responsable de ça ? », « qu’est-ce que cela signifie ? ». Puis ils ont compris et ont adhéré. Ils trouvaient que c’était bien de partir d’une chose abstraite comme le ciel, et d’aller vers du personnel.
Concernant les personnes qui ont participées aux enregistrements, elles ont d’abord été gênées, puis finalement elles ont réussi à se prêter au jeu pour finir par être fières de voir leurs témoignages accrochés au mur.

Et vous, avez-vous observé des effets sur vos patients ?

C’est un bon complément au soin. Nous menons déjà des activités artistiques avec nos patients. Ils et elles participent à des ateliers externes de poterie, craies grasses et aquarelles. Ils y font ce qu’ils veulent. Là, on était guidé par la proposition d’Ingrid. Il a fallu se concentrer, faire travailler la mémoire et la lecture. Ce sont des compétences que nous ne mobilisons pas dans les autres médiations artistiques.

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Interviews croisées, Cie On Off & Hôpital maritime de Berck

By | 2023/2024

Stéphanie, Cécile, pouvez-vous présenter la compagnie On Off ?
La compagnie propose des spectacles dans l’espace public ou dans des lieux atypiques comme des hôpitaux, des écoles mais aussi des lieux dédiés comme les théâtres. Nous sommes des sortes de 4-4 de la culture avec comme outil principal la musique et le chant polyphonique.

Anthony, toi tu travailles au service animation de l’hôpital maritime de Berck, est-ce que tu peux présenter le service ?
Oui, l’hôpital est spécialisé dans la rééducation. Il dispose d’un service animation qui est ouvert tous les jours, y compris les week-ends et les jours fériés. Notre équipe propose des animations, des ateliers manuels et des spectacles pour les patients.

Stéphanie et Cécile, comment avez-vous avez préparé Plaines Santé ? Qu’est-ce que vous proposez ?

Stéphanie : Nous nous sommes appuyées sur des spectacles que nous avions déjà. On a par exemple un spectacle, les Chti Lyrics, à partir duquel on a proposé plusieurs animations lors de notre deuxième venue. Pour cette semaine, Anthony a proposé le thème du sport. Nous nous sommes alors inspirées d’un autre de nos spectacles où l’on chante des chansons de rugby.

Cécile : Nous avons adhéré tout de suite à cette thématique. On travaille en va-et-vient, en discussion, en dialogue avec Anthony. Nous arrivons avec une boîte à outils et lui pioche dedans. On joue ensuite au ping-pong avec nos matériaux sonores et des nouvelles propositions.

Anthony : On se nourrit mutuellement de nos idées. Il y a une véritable unité qui se crée et les patients adhèrent facilement. C’est vraiment très riche émotionnellement et musicalement. C’est quelque chose qui reste gravé dans la mémoire de tous. Ça agrémente leur séjour de manière bénéfique.

Arrivez-vous à tisser des liens avec les patients ?
Cécile : Oh oui ! Et très vite. Quand on propose des livraisons de chansons en chambre par exemple, on rentre tout de suite dans une intimité. Aussi, nous sommes logées à l’hôpital, alors on passe dans un couloir, on s’arrête, on discute et on continue d’instaurer une présence. On partage l’envers du décor aussi.

Stéphanie : Oui, c’est une immersion totale pendant vraiment 4 jours. On déambule du service de rééducation aux services de soins en passant par les chambres pour les personnes alitées. On investit tous les lieux de l’hôpital même l’extérieur.

Qu’est-ce qui vous intéressait dans le dispositif Plaines Santé ?

Cécile : C’est une autre façon de travailler notre duo. Cela fait plus de 15 ans qu’on travaille ensemble et c’est important d’être en contact avec du vivant. On pourrait imaginer que notre métier se situe dans le monde de la culture, pour des initiés. Cela nous fait du bien d’être en contact avec plusieurs types de publics.

Stéphanie : Ici nous vivons un véritable échange avec les patients. Ce qu’on ne vit pas forcément en spectacle, parce qu’en spectacle, même si on échange à la fin, c’est très bref. Ici on découvre les patients, ils nous découvrent et tout de suite on est dans l’échange. Et effectivement, comme on est là toute la journée, ils nous nourrissent, on les nourrit. On a l’impression qu’à chaque fois, c’est encore plus fort.

Et vous, c’est la première fois que vous participez à Plaines Santé. Et vous avez repostulez pour la saison prochaine. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce dispositif ?

Anthony : Nous avions déjà eu l’occasion de travailler avec le BIP pour des résidences d’artistes. Mais là, ce qui nous a plus c’est de travailler sur du long terme avec la compagnie. Les patients ressentent forcément ce lien qu’on a avec les artistes. Et du coup, c’est beaucoup plus riche, il y a encore beaucoup plus de partage.

 

Propos recueillis par Sidonie Hadoux