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Rencontre avec les services du pôle domicile adulte de l’APF France Handicap et le Collectif Otium autour d’un concert pas comme les autres

By | 2024/2025

Ce vendredi 4 juillet, le DASMO 80 et le collectif Otium composé ce jour-là de Matthieu Debliqui et d’Adrian Carrel invitent les participants à un concert pas comme les autres.

Ici, pas de scène ni de spectateurs passifs : chacun est convié à explorer les textures sonores, à faire vibrer l’espace, à inventer des sons avec les musiciens. « Il y a parfois une appréhension au début, face aux machines, aux boutons », confie Adrian, musicien. « Mais une fois que les gens comprennent qu’ils peuvent juste jouer, sans risque de se tromper, ils se laissent embarquer.»

L’artiste Matthieu Debliqui est assis, souriant. À droite de l’image, on distingue la silhouette floue d’une personne portant un casque audio

Fondé par Matthieu Debliqui, artiste sonore passionné par les croisements entre art et accessibilité, le collectif Otium défend une vision du son comme espace de liberté. « Le mot otium vient du latin : c’est le temps pour soi, pour les arts, l’inverse du negotium, le travail », explique-t-il. Avec leurs dispositifs parfois faits maison, le collectif adapte ses formats à chaque public – que ce soit en foyer, à domicile ou dans l’espace public. L’objectif ? Rendre la musique expérimentale accessible. « On part du principe que des pratiques perçues comme élitistes peuvent devenir des vecteurs puissants de partage », poursuit Matthieu. En témoigne cette anecdote recueillie lors d’un atelier à domicile : une participante, hypersensible au bruit, confie utiliser un ventilateur pour masquer un bourdonnement constant. « Ces moments nous rappellent combien le son est vécu de manière intime, parfois vitale », glisse

Deux personnes se tiennent la main. À côté d’eux, sur une table, un appareil pour produire de la musique est entouré de nombreux câbles.
L’artiste du collectif Otium, Adrian Carrel, se tient à droite de l’image, le regard levé. À gauche, un participant discute avec l’autre artiste du collectif Matthieu Debliqui

Adrian. À Etouvie, entre les sons, les corps, les silences et les sourires, une partition et une écoute collective s’inventent.

Erick Savreux est revenu, accompagné de son éducatrice Laura Guillier. Il a déjà participé à la proposition d’Otium dans le tiers lieu le QG d’Henriette à Amiens. «C’était bien, explique Erick, j’ai créé du son. Il y avait le bruit de la mer, des cloches. J’ai réussi à me détendre.»

Interview de Marthe Débureaux, et Laura Guillier, éducatrices, à l’origine de l’organisation du projet

Portrait en cadrage américain de Marthe Debureau et Laura Guillier, avec un fond légèrement orangé

Pouvez-vous vous présenter ?

Marthe Débureaux : Je suis éducatrice au DASMO 80, un dispositif d’accompagnement et de soins en milieu ordinaire. J’interviens auprès de personnes en situation de handicap moteur, souvent avec des troubles associés, voire en situation de polyhandicap.

Laura Guillier : Je suis éducatrice spécialisée dans un service d’accompagnement à la vie sociale (SAVS). J’accompagne également des personnes en situation de handicap moteur, mais qui ont un peu plus d’autonomie à domicile. On s’appuie sur cette autonomie pour développer des projets selon leurs besoins.

C’est la première fois que vous participez à Plaines Santé. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’y prendre part ?

Marthe : J’étais au DASMO depuis à peine un an et j’ai tout de suite pensé à certaines personnes qu’on accompagne, qui ne peuvent pas sortir de chez elles et n’ont donc aucun accès à la culture. Certains aidants exprimaient ce manque. Une fille m’avait dit : “Ma mère adorait la musique, danser, aller au musée. Mais aujourd’hui, elle ne peut plus y aller.” Le projet Plaine Santé était une bonne occasion d’amener la culture jusqu’à elles.

Comment avez-vous organisé le projet ?

Marthe : Il a d’abord fallu convaincre mes collègues des différents services du pôle domicile : le SAVS, le SAMSAH et le DASMO. C’était un projet en plus de notre charge habituelle, donc il fallait que tout le monde soit motivé. Et comme il y avait un financement public, on voulait bien faire les choses.

Laura : Ce qui m’a convaincue, c’est que Marthe a vraiment pris le projet en main. Elle était la référente, ce qui m’a permis de m’y greffer selon mes disponibilités. Au final, beaucoup d’usagers du SAVS y participent.

Les artistes présentent leur spectacle dans le jardin de l’ESAT La Gohelle, en présence du public

Quels services et structures étaient impliqués ?

Marthe : Notre pôle domicile adulte regroupe trois services (SAVS, SAMSAH et DASMO), tous rattachés à l’association APF France Handicap. On a aussi collaboré avec l’ADAPT, qui gère un foyer d’accueil médicalisé et une plateforme de répit pour les aidants. Il fallait coordonner tout ce monde, malgré les différences de fonctionnement, les roulements, les vacances…

Comment avez-vous structuré les premières étapes du projet ?

Marthe : On voulait de l’itinérance et l’utilisation de tiers-lieux, pour toucher les personnes chez elles mais aussi celles en recherche de socialisation. L’APF a ouvert récemment un lieu appelé le QG d’Henriette, accessible à tous types de handicap, avec des ateliers, de l’entraide, etc. On a aussi eu des échanges avec Autrement, un autre tiers-lieu à Amiens. On a organisé le projet par secteurs, pour que chacun puisse en bénéficier selon sa localisation.

Laura : Les musiciens intervenaient deux jours par mois : une journée en itinérance à domicile et une journée en tiers-lieu. Chaque fois, sur le même secteur.

Que se passait-il pendant ces journées ?

Marthe : En ce qui me concerne, j’ai surtout accompagné à domicile. On a vu de très belles relations se créer. L’aidant et l’aidé n’avaient plus leur rôle habituel : c’était une découverte pour tous. Les musiciens proposaient une exploration sonore à partir d’outils, de tablettes, de sons du quotidien que les personnes aiment. Ils expliquaient ce que ces sons évoquent pour eux, puis construisaient un morceau relaxant à partir de ça.

Quels sont les retours des personnes accompagnées ?

Marthe : Les retours sont très positifs. Les gens ont vraiment apprécié ces moments.

Justement, comment avez-vous pensé cette journée aujourd’hui ?

Laura : On voulait marquer la moitié du projet par un moment estival, un peu festif : ce qu’on appelle notre premier final. On l’a fait en extérieur, dans un parc, pour permettre aux personnes de sortir de chez elles et d’accéder à la culture dehors. C’était aussi l’occasion pour les participants de se rencontrer autour de la musique.

Marthe : Il y a 14 personnes accompagnées sur les deux associations qui sont là. J’ai aussi invité des gens du quartier à venir librement, sans inscription. Le lieu s’y prête : les passants peuvent s’arrêter, découvrir, participer.

Text: Sidonie Hadoux

Photos: Gabriela Téllez

Passage de l’artiste Stéphanie Petit sous des fils tendus, ornés de tissus colorés suspendus.

Impromptus en chansons et pieds dans l’eau

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Mercredi 9 juillet 2025, au cœur du parc verdoyant de l’IME La Pépinière à Loos, quelques notes d’accordéon flottent dans l’air, des voix murmurent, des banderoles frémissent le long des chemins. C’est la restitution de la compagnie ON OFF, accueillie dans le cadre du festival Zik’n’ Roul du GAPAS. Une restitution sous forme de balade sensorielle qui intervient suite aux ateliers menés par les comédiennes auprès des jeunes de l’Institut d’Education Motrice (IEM) Le Passage à Wasquehal.

Ce dernier, ainsi que l’Institut Médico Educatif (IME) La Pépinière font partie du GAPAS, une association lilloise qui accompagne des enfants et adultes en situation de handicap, à travers 32 établissements dans les Hauts-de-France et l’Île-de-France , dont 18 structures spécifiquement sur la métropole lilloise

À l’origine de cette balade: deux artistes, comédiennes et chanteuses, Cécile Thircuir et Stéphanie Petit, venues partager leur univers décalé avec un public souvent peu représenté sur les scènes artistiques : des adolescents et adolescentes en situation de pluri handicaps et de poly handicaps. Ensemble, ils ont inventé une forme à leur image : fluide, poétique, joyeusement imprévisible.

L’artiste de la compagnie On-Off, Stéphanie Petit, donne des instructions à l’une des participantes pour débuter l’activité, sous un soleil éclatant. À sa droite, Cécile Thircuir.
Un groupe de participants est invité à enfiler un masque sur les yeux, à saisir une corde, puis à marcher lentement, les sens en éveil. La voix de Cécile guide leurs pas en chantant, sous un ciel bleu et ensoleillé.

Une balade à l’aveugle, pour mieux ressentir

Dès les premiers instants, le dispositif surprend : le public est accueilli par Nadine et Nadine, « docteures de l’hôpital Gilbert Montagné d’Hazebrouck », invité à enfiler un masque sur les yeux, à attraper une corde, puis à marcher lentement, les sens en alerte. La voix de Cécile guide les pas des marcheurs en chanson

Puis, les masques sont retirés. Le public découvre une haie d’honneur joyeuse formée par les jeunes de l’IEM Le Passage, souriants, bras levés. On passe sous des fils tendus auxquels pendent des tissus colorés, frôlant les visages. En deux temps, trois mouvements, le groupe s’est déplacé face au public des marcheurs pour leur offrir un chant.

Passage de l’artiste Stéphanie Petit sous des fils tendus, ornés de tissus colorés suspendus.
Le groupe de participants poursuit la balade dans le jardin de l’IME La Pépinière à Loos, sous un ciel bleu parsemé de quelques nuages.

Pieds dans l’eau, voix dans les arbres

La promenade se poursuit jusqu’à un petit cercle de chaises, installé à l’ombre, au milieu du jardin. À leurs pieds : des bacs d’eau. Les chaussures tombent. Les pieds s’immergent. Les corps se détendent. Dans cette mise en condition sensorielle, la musique peut commencer. Cécile lance à l’accordéon les premières notes.

Certains chantent avec entrain, d’autres tapent dans les mains ou balancent doucement la tête. Le public se laisse porter, amusé par cette simplicité désarmante. Entre chaque chanson, des rires et des clapotis.

Cécile Thircuir, artiste de la compagnie On-Off, joue de l’accordéon à l’ombre dans un espace vert, entourée de participants installés les pieds dans des bassines métalliques remplies d’eau.

Cette restitution est l’aboutissement d’un travail collectif mené dans le cadre du dispositif Plaines Santé. Pendant plusieurs semaines, les artistes sont venues à l’IME pour animer des ateliers, en lien étroit avec l’équipe éducative. Ensemble, ils ont appris à se connaître, à créer une confiance, à adapter les exercices en fonction de chacun. « Cette expérience nous a fait sortir de notre zone de confort. Il a fallu construire chaque séance avec les éducatrices, comprendre les rythmes de chacun, apprendre à être patientes. Chaque enfant est un monde. », réagit Cécile à la fin de la ballade. Stéphanie complète : « Je suis reconnaissante du dispositif Plaines Santé. Sans lui, je n’aurais sans doute jamais osé franchir la porte d’un IEM. Je ne me sentais pas légitime. Aujourd’hui, je suis heureuse d’avoir participé à cette aventure.»

Pour les éducatrices, ce projet a été positif. Mélanie François, éducatrice spécialisée, raconte : « On a vu des jeunes réclamer les chansons entre les séances. C’est devenu un rituel. Ils ont très bien accueillis le projet. »

Lucas, 18 ans, confie après la représentation qu’il était content d’avoir participé. Yannick, plus discret, avoue lui aussi avoir « beaucoup aimé. Au terme de cette parenthèse sensorielle et musicale, le public repart avec les pieds encore humides, et l’esprit léger.

Une participante filme l’activité avec son smartphone, tandis que l’artiste Cécile Thircuir joue de l’accordéon, entourée de participants réjouis derrière et autour d’elle.
Deux personnes, les pieds plongés dans des bassines d’eau en métal, vues de dessus.
Les artistes de la compagnie On-Off, Cécile et Stéphanie, chantent avec les participants. Cécile joue de l’accordéon.
Les artistes présentent leur spectacle dans le jardin de l’ESAT La Gohelle, en présence du public

En quête d’ailleurs dans les jardins de l’ESAT La Gohelle

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Petra, Macha et Douchka ont monté leur campement dans le jardin de l’ESAT La Gohelle. Les trois personnages suivent les traces de leur mère, partie en voyage dix ans plus tôt. Devant un public attentif, les 2 comédiennes racontent l’histoire de ce double périple. Pendant ce temps, Douchka (Oréli Paskal) dessine face au public.

Les artistes de la Compagnie des Vagabondes présentent le design final après leur spectacle. Il a été réalisé par l’artiste Oréli Paskal

« Ce n’est pas qu’un lieu de travail, rappelle à la fin du spectacle  Arnaud Sengier, responsable du conditionnement, l’accès à la culture fait partie de l’accompagnement proposé aux usagers de l’ESAT, c’est important pour créer du lien social et ouvrir les usagers à d’autres centres d’intérêts que le sport par exemple que l’on propose ici tout au long de l’année ».

Clémence, usagère de l’ESAT, a participé à la première rencontre avec les artistes. « On m’a proposé et j’ai accepté, se souvient-elle, j’avais peur que ce soit un peu enfantin, mais en assistant au spectacle aujourd’hui j’ai bien aimé. Je me suis rendue compte que c’était vivant et agréable. Cela nous permet de sortir de notre quotidien. »

Interviews croisées de Stéphanie Constantin, Anaïs Gheeraert, Oréli Paskal de la compagnie des Vagabondes et de Valérie Mayeux, monitrice éducatrice et Aurélie Samain, psychologue à l’ESAT La Gohelle.

Portrait des artistes  Stéphanie Constantin, Anaïs Gheeraert et Oréli Paskal
Portrait de Valérie Mayeux, monitrice éducatrice et Aurélie Samain, psychologue à l’ESAT La Gohelle dans le jardin.

Pourquoi avoir souhaité participer à Plaines Santé pour la première fois ? Qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce dispositif ?

Aurélie : Le fait de pouvoir rendre accessible l’art, la culture, à nos usagers. C’est un type de format auquel ils ne sont pas habitués, et pourtant on a senti que ça leur plaisait. L’idée, c’est aussi d’ouvrir à la curiosité, à la découverte des spectacles. Et puis, permettre un petit moment de légèreté dans leur journée de travail, un format qui change un peu.

Valérie : C’est ce que je dis toujours quand je vois le spectacle : c’est notre petite parenthèse. Il y a le travail, bien sûr, mais on leur permet aussi d’avoir des moments de détente, où on laisse de côté la production. On se retrouve dans un contexte différent, sans l’atelier, sans les rôles habituels de collègues. C’est ce que j’ai ressenti aujourd’hui, encore plus que lors des premières représentations d’ailleurs, car là, on était vraiment dans un spectacle. Et puis, je n’étais même pas sur mon lieu de travail.

Qu’est-ce qui a changé par rapport aux autres fois ?

Valérie : Le jardin ! Je suis très attachée à cet espace parce que j’y viens régulièrement. Il y a aussi la présentation, l’organisation… Et puis, peut-être que Stéphanie, Anaïs et Oréli sont de plus en plus à l’aise avec nous, parce qu’elles nous connaissent mieux, elles ne sont plus dans l’inconnu. On s’apprécie, on est contentes de les recevoir, et je pense qu’elles sont contentes de venir. C’est un tout qui fait que c’était un peu particulier aujourd’hui.

Anaïs, Stéphanie, Oréli, vous avez ressenti cette différence aussi ?

Anaïs : Oui ! Il faut dire que depuis le début, on a toujours eu un super accueil ici. On a vraiment beaucoup de plaisir à venir à chaque fois. Ce qui est super avec Aurélie et Valérie, ce sont toutes les petites attentions : aujourd’hui par exemple elles avaient prévu les parasols, les bâches… Et en plus, ça s’accordait avec le décor, c’était magnifique ! Forcément, nous, ça nous met dans des conditions où on a envie de surfer là-dessus, de s’amuser, d’être ensemble.

Je pense que l’intérêt, le but, artistiquement, c’est vraiment de faire ensemble. Partager de l’intime, créer quelque chose avec, et pas être les artistes d’un côté et le public de l’autre. Là, on le ressent autant avec les usagers, les travailleurs, qu’avec le personnel. Il y a une vraie circulation.

Les artistes marchent dans le Jardin de

Pour vous aussi les vagabondes c’était votre première participation à Plaines Santé ? Qu’est-ce qui vous a donné envie ?

Stéphanie : On s’est dit tout de suite que c’était chouette, parce qu’on avait fait plusieurs fois Plaines d’été, un autre dispositif, mais l’idée reste la même : mettre l’art au milieu de la vie quotidienne, pas forcément dans des lieux dédiés comme les théâtres. C’est quelque chose qu’on a déjà beaucoup fait avec la compagnie: des résidences longues, à Ternier, dans le Vexin… On va dans des établissements, des centres sociaux, des EHPAD, des ESAT.

Ce qui était différent ici, c’est qu’on avait vraiment le temps de développer un spectacle, ce qu’on ne fait pas forcément d’habitude. Ce sont plutôt des improvisations préparées. Là, c’était une vraie création. 

On a le temps de se rencontrer. Contrairement à Plaines d’été où les liens sont plus compliqués à créer, ici tout est fluide. Et comme disait Anaïs : plus il y a de liens, plus ça a de sens, et plus on a envie de donner. Dans les deux sens. C’est un cercle vertueux.

Vous parliez d’accueil. C’est quoi, pour vous, bien accueillir des artistes ? Et quelles difficultés avez-vous rencontrées ?

Aurélie : Franchement, j’ai trouvé ça super bien organisé. Le dispositif est assez clé en main : la présentation des compagnies, le choix des artistes, les rencontres facilitées par Marie du BIP. C’est rassurant pour nous. La seule chose qu’on a dû organiser, c’est les lieux, les groupes participants. Mais c’était fluide.

Même pour faire sortir les personnes de leur temps de travail, on a l’habitude. On planifie avec la production, et si c’est fait en amont, c’est possible. On a aussi la chance d’avoir une direction qui soutient ce genre de projet. Ce n’est peut-être pas pareil partout, mais chez nous, on a cette chance. On mène des projets, on présente nos idées, on a de la matière. Bien sûr, ça demande de l’organisation, mais nous sommes soutenus.

Qu’est-ce qui caractérise un bon accueil pour vous en tant qu’artistes ?

Anaïs : Si la direction n’est pas sensible à l’artistique, ça nous demande beaucoup d’énergie, et on profite moins. On perd du temps, et le temps est compté. Le plaisir doit être partagé. C’est pour ça que la première rencontre est importante, pour créer de la confiance et se questionner sur l’intérêt de faire ça.

Les artistes présentent leur spectacle dans le jardin de l’ESAT La Gohelle, en présence du public

Vous avez créé une forme spécialement pour Plaines Santé. Comment avez-vous travaillé ? L’avez-vous fait évoluée ?

Oréli : Au début, c’était pensé comme quelque chose de très interactif, presque un atelier. Et puis petit à petit, c’est devenu une forme théâtrale. Moi, au début, je devais être dans le public pour dessiner, et elles ont fini par me mettre sur scène ! C’était mon petit trauma…[rires] mais ça s’est bien passé.

J’ai toujours essayé de recentrer sur la rencontre, sur l’échange, parce que dans mon travail d’illustratrice, j’ai l’habitude d’échanger avec les publics. Être sur scène, c’est différent : il y a les artistes d’un côté et le public de l’autre. Là, on a cherché un entre-deux. Et le dispositif le permet. On aime toutes les trois faire ça, et on a trouvé une façon de le faire ensemble.

Pourquoi avoir voulu créer une forme spécifique pour Plaine Santé ?

Stéphanie : C’est vrai que c’est un dispositif où on peut proposer une forme déjà existante, mais on a préféré créer. Ce qui était super, c’était de revenir cinq fois dans le même lieu. À chaque fois, on a eu des retours, des incompréhensions, des compréhensions, des échanges. Ça nous a permis de requestionner, d’ajuster, de retravailler la dramaturgie. On a vraiment tissé au fil des interventions.

Anaïs : Et puis on cherche à dire des choses qui nous touchent, à parler de ce qui nous tient à cœur. Il y avait cette idée de voyage, de déplacements simples, de comment mettre en valeur l’urbain ou les lieux quotidiens. Ici, c’est joli, mais parfois on est dans des salles de pause, dans des ateliers… Comment transformer ces espaces, même pour un instant. Les faire redécouvrir autrement.

Intervention artistique de la Compagnie des Vagabondes dans le cadre du dispositif Plaines Santé, à l’ESAT La Gohelle à Hersin-Coupigny. Oréli Paskal désigne le public.

En quête de sens avec la compagnie des Vagabondes

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Stéphanie Constantin, Anaïs Gheeraert et Oréli Paskal de la compagnie des Vagabondes ont posé leurs valises à l’Esat La Gohelle à Hersin-Coupigny pour cinq représentations de leur forme courte intitulée En quête d’ailleurs.

Retours en images et en sons avec le diaporama sonore réalisé par Gabriela Téllez et Sidonie Hadoux

«Les gens qui viennent acheter des fleurs sont des gens habités»

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Dans le cadre de Plaines Santé, la compagnie Club.e sensible investit les services du Centre Hospitalier de Douai afin d’offrir aux patients et patientes un bouquet de poésie.

Des images de bouquets de fleurs jonchent le sol du service gériatrique du Centre Hospitalier de Douai. Dans le couloir attenant, une dame en déambulateur avance prudemment accompagnée de sa fille. « Il y a de la place ici devant », indique une professionnelle en blouse blanche. La dame s’installe un grand sourire aux lèvres. On ferme les portes des couloirs.

Carine Goron, metteuse en scène et comédienne, présente ce que le public s’apprête à entendre : « J’ai mené des interviews avec des fleuristes à partir desquelles une autrice a écrit un monologue. C’est Marie Filippi, comédienne, qui va vous l’interpréter aujourd’hui ».

La pièce commence

Pivoines, tulipes, marguerites, bouquets, fougères, myosotis, violettes.
Mise à l’eau. Laver les vases. Regarder les fleurs coupées. Etaler les fleurs.
Bouquet fous, ronds, gerbes monumentales, picturales, modernes, minimalistes.

Pendant 25 minutes, le monologue entraîne le public dans les réflexions d’une fleuriste, emportée, habitée, par sa passion, sa boutique et ses clients. A la fin de la pièce, Marie offre l’image d’un bouquet à chaque personne du public.

« J’aime beaucoup les fleurs, commente Odette en regardant son illustration. J’ai un bouquet dans ma chambre à l’hôpital. Il m’a été offert par mes petits et arrière-petits enfants. J’ai retiré au fur et à mesure les fleurs fanées. Il ne me reste plus qu’une fleur blanche et une tige jaune mais je le garde encore comme ça. Pour qu’il reste le plus longtemps possible avec moi ». A sa droite, Denise ne décolle pas les yeux de sa peinture : un bouquet de mimosas. « C’est très beau, mais ça ne pousse
pas ici, ça pousse du côté de Menton ».

Jean est resté silencieux, pensif. Quand on lui demande s’il aime les fleurs, il revient à lui : « Oui, dit-il doucement, mais ça dépend lesquelles. Il marque un temps de pose. J’aime celles cueillies sur les bords de chemin. Je crois que je n’aime pas beaucoup les bouquets. Une fleur toute seule, ça me suffit déjà amplement. »

Interview croisée de Carine Gorion, metteuse en scène, et Marie Filippi, comédienne

 

Carine, peux-tu expliquer la genèse du projet ? Comment t’est venue l’idée de travailler autour des fleuristes ?
J’avais envie de travailler sur les fleurs. C’est une envie assez personnelle : ma grand-mère était fleuriste, et je crois que j’ai une passion pour ce métier. J’aime entendre les gens parler de leur travail, de leurs gestes, de la relation entre ce qu’ils font, ce qu’ils sont, et les personnes qu’ils rencontrent.

Tu avais des inspirations particulières ?
Oui, je suis assez fan du réalisateur Alain Cavalier, qui a réalisé une série documentaire sur des métiers. Ça m’a inspirée. Je me suis dit que j’aimerais faire quelque chose de similaire au théâtre, sans pour autant copier ce qu’il a fait.
Et puis j’adore l’écriture de Milène Tournier.

Milène Tournier est l’autrice du texte, qu’est-ce que tu aimes dans son écriture ?
Milène écrit en marchant dans la rue, sur son téléphone. Dans ses textes, on sent vraiment le rythme de la marche. Ça impose un flot, une rapidité, un souffle que j’adore. J’aime aussi prendre des sujets très quotidiens et essayer de les transcender par l’art et la littérature.

Tu pars donc plutôt du réel, de la rencontre ?
Oui, tout à fait. J’adore rencontrer des gens, les interviewer. Je préfère partir d’une matière vivante, d’un échange, plutôt que d’un texte théâtral déjà existant.

Est-ce que tu qualifierais ça de théâtre documentaire ?
Oui, complètement. C’est du théâtre documentaire, mais sans trahir ou voler la parole des gens. On utilise une matière vivante, transformée ensuite par l’autrice.

D’où est venue l’envie de présenter cela dans le cadre de Plaines Santé ?
J’ai imaginé une forme monologuée, très proche des gens. Je voulais créer un objet théâtral en grande proximité. Le texte commence presque comme une discussion, une confession. Puis, il se transforme, notamment grâce à l’interprétation de Marie, à la musique, et à la relation qui se crée avec les spectateurs. Et je crois que le monde des fleurs, de l’offrande, des rituels, a un lien profond avec l’univers médical et hospitalier. Les gens nous racontent souvent les fleurs qu’ils ont reçues ici. Les infirmières cherchent toujours des vases, de l’eau, des contenants pour ces bouquets. Les hôpitaux ne sont pas pensés pour ça, alors on coupe des bouteilles en plastique, on improvise. Et ça donne lieu à des discussions très concrètes… mais où naît aussi une certaine poésie.

 

 Est-ce que tu vas continuer cette série avec d’autres métiers ?
Je vais interviewer des femmes qui sont célébrantes ou cérémoniantes pour des cérémonies funéraires. Je travaille sur les rites alternatifs, sur la manière de repenser les cérémonies laïques. Et je continue aussi à interviewer, notamment dans le cadre des 10 impromptus hospitaliers. Entre les représentations, on va à la rencontre d’aides-soignantes, on recueille leurs paroles sur leurs pratiques. Elles viennent assister aux représentations quand elles peuvent, parfois entre deux services. Ça crée de la porosité entre les équipes, les services.
Et puis c’est une autre manière pour eux de se raconter, souvent dans l’anonymat, dans les couloirs, pendant les pauses café. On rencontre des soignantes de tous les âges. C’est un échange humain très riche. Mylène écrira aussi un texte autour de ça.

Marie, est-ce que tu avais déjà joué cette forme dans d’autres circonstances avant ?
Oui, on l’a jouée pour la toute première fois dans le cadre d’une commande pour un festival qui s’appelait La beauté du geste, au théâtre de Brétigny, en région parisienne. Je l’ai aussi jouée une fois en appartement. Dès le début, on a pensé cette forme pour qu’elle puisse s’adapter à différents types de représentations, en théâtre ou hors les murs.

Tu la joues désormais devant des patients dans un centre hospitalier, comment tu vis cette expérience ? Comment ça se passe pour toi ?
Je pense que ça prend tout son sens ici. C’est un texte qui parle du cœur de la vie, de ce à quoi on peut être confronté : la douleur, la joie, les grands moments. La fleuriste dont il est question dans le texte voit passer une grande diversité d’humanité, des gens très chargés émotionnellement. À l’hôpital, c’est exactement ce qu’on retrouve : les patients, les soignants, les familles traversent toutes sortes de situations, parfois très dures, parfois joyeuses. Et ça résonne très fort ici.

Tu arrives à percevoir ce qui se passe dans le regard des gens pendant que tu joues ?
Oui, même si je suis dans une grande concentration, parce que jouer dans un lieu non dédié demande beaucoup d’attention. Il y a les allées et venues des soignants, des bruits, des interruptions possibles… On est dans un lieu de travail, un lieu de soin, pas un lieu fait pour le théâtre. Il faut s’adapter à ça. Mais je suis toujours dans le regard des gens, parce que j’adresse le texte directement, yeux dans les yeux. Et je vois énormément d’émotion. Chez les très jeunes comme chez les personnes très âgées. Ils reçoivent la poésie comme si elle faisait partie de leur propre vie.

Est-ce que jouer dans un lieu non dédié est plus compliqué que dans un théâtre classique ? Quelles difficultés rencontres-tu ?

Oui, parfois avec Karine, on se dit que c’est presque un tout autre métier. Les spectateurs ne sont pas venus pour voir du théâtre. Ils sont là pour se faire soigner, pour travailler, pour accompagner un proche. Le théâtre arrive un peu comme un hasard dans leur journée. Donc nous, comédiens, on doit accepter d’être un “en plus” pas l’essentiel. Il faut proposer quelque chose malgré cela, et donc se décaler. La concentration est essentielle. Par exemple, on a joué dans des salles de soins intensifs, avec des patients en train d’être pris en charge, entourés de soignants. Le texte doit exister malgré ça. Il faut réussir à créer une bulle, tout en étant dans le partage. C’est un équilibre très particulier.

Est-ce que tu as eu des retours de la part des patients ?
Oui, beaucoup. Un patient à qui j’ai lu le texte à son chevet m’a dit : « Je n’avais jamais vu quelqu’un faire ça dans ma vie. » D’autres m’ont dit qu’ils avaient oublié leur réalité pendant quelques minutes, qu’ils étaient “partis” avec moi. C’est pour cela aussi que Karine a choisi une forme à la fois documentaire et poétique : pour emmener les gens ailleurs, au-delà du réel. La poésie permet ce décalage, et c’est aussi ce qui m’amène à un jeu de comédienne qui dépasse le réel, avec une sorte de logorrhée qui se transcende elle-même. Ce n’est pas juste une histoire racontée ici et maintenant. Il y a une musicalité, une énergie qui me porte, pour que les gens voient aussi quelqu’un se dépasser dans sa parole, pendant une demi- heure, dans un acte poétique à l’hôpital.

Qu’est-ce que cette expérience t’a apporté personnellement, en tant que comédienne ?
Oui, j’avais déjà travaillé en milieu hospitalier, mais avec des formes très différentes. Ce que je trouve génial ici, c’est qu’avec Karine, on continue à chercher la justesse artistique, malgré la difficulté du contexte. On travaille encore, on explore, on se fait des retours après chaque représentation. Pour moi, c’est un vrai perfectionnement dans mon rapport aux gens, au public, et dans ma manière de porter un texte exigeant. Il faut réussir à traverser ce texte malgré des conditions parfois très difficiles émotionnellement. On est parfois face à des personnes en état très grave. Il faut aussi gérer ça, humainement. C’est une épreuve de gestion émotionnelle.

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez

Plaines Santé au foyer Victor Morel, des acrobaties sous le soleil

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Dans Passing Swiftly, Špela Vodeb et Christine Daigle bousculent les codes et se lancent dans une exploration physique et sensible du rapport à l’autre. Une pièce acrobatique accompagnée de musique live, jouée par Enguerran Wimez, et composée par Joris Pesquer. Le trio a la chance d’être acceuilli au foyer Victor Morel à Campagne-les-Hesdins, dans l le Pas-de-Calais, où une commission culture composée des résidents et de leur animateur, participe de près au dispositif Plaines Santé.

Retours en images et en sons avec le diaporama sonore réalisé par Gabriela Téllez et Sidonie Hadoux

Passing Swiftly : une expérience physique et sensible partagée avec les résidents – entretien

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Au foyer Victor Morel, ce sont les résidents et résidentes qui choisissent les artistes qui seront accueillis chez eux. Pour cela, l’équipe a monté une commission culture. Et leur motivation ne s’arrête pas là, car ils participent aussi à la commission de sélection des artistes pour l’ensemble du dispositif Plaines Santé.

Un investissement dont les résidents ne sont pas peu fiers et qui participent à changer le regard sur leurs situations. Changer les regards, faire évoluer les rôles, c’est aussi ce que propose la compagnie Un loup pour l’homme avec le duo acrobatique Passing swiftly.

Comment est né le spectacle Passing Swiftly ?

Christine : Le point de départ, c’était simple : on voulait voir ce que faisait deux voltigeuses qui se portent mutuellement. Ça partait d’une envie de tester, d’explorer, et aussi de questionner les rôles, en tant que femmes, en tant que personnes. On a travaillé autour de la zone de confort : comment on en sort, qu’est- ce que ça demande, comment on construit une relation de confiance et de communication autour de ça.

Et puis, au début, c’était une petite forme, créée pour une carte blanche. On s’est rendues compte qu’on avait envie de continuer, de faire évoluer le projet, de l’adapter pour aller à la rencontre des gens, en dehors des salles traditionnelles.

Justement, échanger les rôles de voltigeuse et de porteuse, ça représente quoi dans le monde du cirque ?

Christine : En acro, le porteur ou la porteuse est en bas, il·elle soulève. Le·la voltigeur·euse, c’est celui

ou celle qui est en l’air. Et nous, avec nos gabarits pas très grands, on a toujours été voltigeuses. Mais à chaque fois qu’on se croisait, on jouait à se porter, on rigolait, et on prenait du plaisir à ça. C’est devenu un terrain d’expérimentation, et c’est là que l’envie est née.

En fait, c’est aussi une façon de sortir des cadres habituels, de casser des normes, et de dire : tiens, et si on faisait autrement ?

De fil en aiguille, on a fait d’autres résidences, eu d’autres propositions. Et puis il y avait aussi cette envie d’avoir une forme très adaptable, très ouverte, où on peut vraiment sortir des boîtes noires des théâtres, aller vers les gens. Une forme techniquement légère, capable de se déplacer, pour aller à la rencontre de différents publics et de différents types de lieux. Ça a vraiment fait partie de la réflexion du processus.

 

La musique live semble jouer un rôle essentiel dans Passing Swiftly. Pourquoi ce choix ?

Enguerran : C’est super intéressant parce que la musique est vivante, comme le corps. Je m’adapte àleurs rythmes, à ce qu’il se passe sur scène. Ça devient un vrai dialogue. Et pour moi aussi, c’est une sortie de zone de confort.

Christine : Et depuis, la musique fait complètement partie du spectacle. Elle accompagne les moments de tension, de transition… On ne peut plus s’en passer ! Il joue à l’instant, il sent ce qu’on fait, il s’adapte. Et nous aussi, on réagit à ce qu’il joue. Il y a un dialogue qui se crée, un lien fort. C’est précieux.

Et pour toi Enguerran, qu’est-ce que ça t’apporte de jouer avec des gens qui ne font pas de musique ?

Avec la compagnie, on travaille ensemble depuis cinq ans, mais Passing Swiftly m’a clairement fait sortir de ma zone de confort. J’ai l’habitude de jouer en duo, avec un autre musicien, mais là, je suis seul avec ma guitare, face au public. Il a fallu que j’apprenne à lire une partition physique, à m’adapter en temps réel. Rien n’est figé, tout évolue. Et j’ai découvert le plaisir d’accompagner ce mouvement vivant, de chercher la note juste au bon moment. C’est un vrai défi, mais très stimulant.

Qu’est-ce que le dispositif Plaines Santé vous a apporté ?

Christine : Ce qui nous a plu, c’est le temps de la rencontre. Dans beaucoup de spectacles, tu arrives, tu joues, tu repars. Là, on prend le temps. On fait des ateliers, on échange.

Enguerran : C’est super intéressant parce que la musique est vivante, comme le corps. Je m’adapte. Ça nous permet aussi d’aller vers des publics qu’on ne voit pas dans les salles ou sous les chapiteaux. On sort tous de nos quotidiens, et ça crée des échanges très forts.

En quelques jours, avez-vous senti cette rencontre se produire avec les résident·es ?

Christine : Oui, tout de suite. Les gens ont été très accueillants, très généreux. Ils nous ont tout de suite intégrés. Ce qu’on partage, ce n’est pas juste un spectacle, c’est aussi un effort commun. Eux aussi se dépassent dans les exercices qu’on propose mais aussi tous les jours. Ce n’est pas spectaculaire, mais c’est profond. Il y a de la fragilité, de la sincérité, de l’énergie.

Špela : Et je pense que c’est un spectacle parfait pour ce lieu, parce que, comme Christine a dit, on est sortis de nos rôles habituels. Notre proposition est très simple. Et avec eux, ce qu’on fait, c’est aussi très simple, mais ça demande beaucoup d’efforts. Même des choses basiques, ça demande de l’énergie, de la force. Ce n’est pas forcément spectaculaire vu de l’extérieur, mais on voit l’effort. On partage ce type de dépassement. 

Et avec Christine, on a beaucoup travaillé sur la confiance, comment on se parle, comment on fait les choses ensemble. On se pose tout le temps la question : “Comment tu te sens ?”, “Qu’est-ce que tu as besoin ?”. Pour que la voltigeuse se sente en sécurité. Et ça, c’est important aussi à transmettre ici.

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez

Apprivoiser nos casseroles avec la compagnie Le Tout collectif

By | 2024/2025

La saison 2025 de Plaine Santé est officiellement lancée. Pour ouvrir cette cinquième édition, direction le Centre de rééducation et de réadaptation fonctionnelles spécialisées L’Espoir, à Hellemmes (59).

Il est presque 13h, ce vendredi 11 avril 2024. Dans la salle d’activité du centre, transformée pour l’occasion en espace scénique improvisé, deux paravents bleus font office de coulisses. Derrière l’un, Ondine enfile un long gilet orange. Derrière l’autre, Thyl se prépare, invisible mais déjà concentré. Le spectacle se jouera juste sous le panneau de basket, dans une lumière douce de mi-journée. Dehors, à travers les grandes baies vitrées, on aperçoit deux soignants allongés dans l’herbe, profitant de l’ombre d’un cerisier en fleurs.

Mais il est temps de commencer : la pause déjeuner ne dure que trente minutes. Une quarantaine de personnes – soignants, personnel administratif, quelques patients – ont fait le déplacement, intrigués par cette parenthèse artistique.

Ondine ouvre le bal et lance la musique. Surgissant de sa cachette, Thyl entre en scène dans le rôle de Marcellin, une grosse casserole rouge accrochée à lui. Elle l’entrave, le gêne, mais c’est aussi elle qui va provoquer la rencontre. Car Ondine, elle, sait comment « apprivoiser sa petite casserole ».

Pendant 25 minutes, le duo transporte le public dans un tourbillon d’émotions. On rit, on est touché, on se reconnaît. À la fin, les réactions fusent :

« C’était trop beau ! » s’exclame une soignante.
« J’ai pleuré tout du long », ajoute une collègue dans un sourire.
« Un très beau message », résume une autre.

À 13h30 pile, le public repart vers ses postes. Les deux comédiens, eux, restent un instant. Les visages détendus, les sourires complices : mission réussie.

« On a trouvé intéressant qu’une compagnie aborde le handicap avec ce ton-là »

Interview de Sylvain Pistone, médiateur culturel en charge des animations individuelles et collectives et du Pôle Culture du

Centre L’espoir

 

Pouvez-vous nous présenter brièvement le Centre L’espoir ?
Oui, c’est un centre de rééducation et de réadaptation. On y accueille des personnes souffrant de troubles de l’appareil neurologique ou locomoteur. On a également un hôpital de jour et un centre de santé.

Quelle place occupent actuellement la culture et les artistes ici, au sein du centre ?
Grâce à la DRAC avec qui nous sommes en partenariat depuis 2017, on s’inscrit soit dans le programme Circulation (résidences artistiques), soit dans celui de Plaine Santé. C’est la troisième fois qu’on accueille des équipes artistiques dans ce cadre-là.

Qu’est-ce qui vous attire particulièrement dans le programme Plaine Santé ?
Déjà, pour moi, c’est un programme “clé en main”, donc je n’ai pas grand-chose à faire, à part accueillir les artistes dans de bonnes conditions — ce qui est déjà important. Mais ce que j’apprécie particulièrement, c’est que le dispositif s’adresse à tout le monde : patients, personnel, familles, visiteurs… Ce n’est pas ciblé uniquement sur un public. J’aime cette idée d’entièreté. Que tout ce qu’on appelle les “blouses blanches” puissent aussi être intégrées dans le projet, ça me plaît beaucoup.

Cette ouverture à tous les publics, c’est une spécificité du programme Plaine Santé ?
C’est une spécificité des accompagnements proposés par la DRAC, pas uniquement de Plaines Santé. Le programme Circulation fonctionne pareil : c’est pensé pour tout le monde.

Comment procédez-vous pour choisir les artistes ?
On met en place un comité de pilotage composé généralement de thérapeutes, de soignants, de membres de la direction et moi-même. La DRAC nous propose une présélection d’artistes, une vingtaine au total. On en retient trois ou quatre : on classe nos vœux, puis c’est Plaines Santé qui répartit.

Les patients participent-ils à ce choix ?
Pas dans le cadre de Plaines Santé. En revanche, pour le programme Circulation, j’inclus une représentante des usagers dans le choix de l’artiste.

Est-ce que la compagnie Le corps collectif faisait partir de vos choix ?
Oui, elle faisait partie de nos quatre choix. Ce n’est pas moi personnellement qui l’ai choisie, mais on a spécifiquement été attirés par le projet autour de La Petite Casserole. C’était au moment de la sortie du film Un p’tit truc en plus, d’Arthus. Beaucoup l’avaient vu, et ont fait le lien entre les deux.
Ils ont trouvé intéressant qu’une compagnie aborde le handicap avec ce ton-là. On s’est dit que ce serait bien de l’avoir ici.

Et comment se passe leurs interventions ?
Très bien ! C’est leur deuxième passage. On a fait une première déambulation la semaine dernière.
Ils ont été bien accueillis, autant par les patients que par le personnel. C’est peut-être aussi grâce à leur approche humoristique.

Vous disiez que c’était un programme clé en main, mais concrètement, que signifie pour vous “accueillir une compagnie” ? Quelles sont les difficultés et les facilités ?
Ce n’est pas toujours simple. Pas à cause des patients, mais plutôt vis-à-vis du personnel soignant, qui est parfois un peu éloigné du monde artistique et culturel. Ils s’interrogent sur l’intérêt de la présence d’artistes dans un lieu de soin. Ça peut être un vrai défi pour moi, mais aussi un aspect passionnant du travail. On nous prend parfois pour des extraterrestres, que ce soit avec une danseuse, un plasticien ou une troupe de spectacle vivant, comme ici.

Et concrètement, comment vous organisez-vous pour les accueillir ?
L’idée, c’est de les rendre visibles, partout. Le centre est très grand, il faut beaucoup marcher, beaucoup se déplacer entre les services. Les artistes jouent un rôle de lien entre ces différents services. Cette transversalité est essentielle pour moi. Il faut aussi que tout le monde sache qu’ils sont là — c’est primordial.

Et pour les soignants qui sont parfois réticents, comment faites-vous pour les inclure davantage ?
C’est pour ça que le comité de pilotage est important : pour qu’ils aient leur mot à dire dans le choix ou l’accueil des artistes. Avec cette compagnie-là, c’est encore plus facile car ils fonctionnent avec des “impromptus”. Il n’y a pas de communication préalable : l’intervention artistique est une surprise.
Ils débarquent dans un service, lancent une performance, et les gens sont pris sur le vif, obligés de participer. J’avais un peu peur que ça tombe à plat, surtout dans des endroits plus isolés, mais là, ça a bien marché.

« Ça a tellement bien marché qu’on a eu envie d’en faire un vrai spectacle. »

Interview d’Ondine, Thyl et Jean Desbonnet de la compagnie Le Tout Collectif

 

Pouvez-vous vous présenter et présenter la compagnie ?

Ondine : Je suis comédienne et cofondatrice de la compagnie. Nos projets mélangent différents univers artistiques. On travaille beaucoup sur les questions de handicap, notamment avec des structures comme les Papillons Blancs.
Thyl : Je suis comédien amateur, mais je participe régulièrement aux créations de la compagnie.                                                                                                                             Jean : Je suis président de l’association qui porte administrativement la compagnie, et aussi un peu « homme à tout faire » des spectacles !

Pourquoi avez-vous souhaité participer au programme Plaines Santé ?
Ondine : Parce que ça correspond à nos valeurs. On crée des spectacles pour des lieux non dédiés à la scène. L’essentiel pour nous, c’est d’ouvrir le dialogue, de partager avec toutes les personnes, quelles que soient leurs histoires ou leurs parcours.                                                                                                                                           Jean : Et parce que c’est rémunéré – ce qui est rare ! Ça nous permet d’être tous présents, d’investir pleinement le projet. C’est important pour les artistes d’être reconnus aussi financièrement. Sinon on le ferait peut-être quand même… mais là, c’est vraiment possible.

Quel est le point de départ du spectacle La petite casserole ?
Ondine : À l’origine, c’est une adaptation libre de La petite casserole d’Anatole, un album jeunesse d’Isabelle Carrier. À l’origine, c’était un mini impromptu de 15 minutes pour le Téléthon à Armentières. Ça a tellement bien marché qu’on a eu envie d’en faire un vrai spectacle.

Comment avez-vous préparé les impromptus pour Plaines Santé ?
Ondine : On a choisi de ne pas tout dévoiler du spectacle. On a créé des petites scènes visuelles ou participatives, des détournements d’objets, de la danse dans les couloirs, des jeux avec le personnel… Le but, c’était de semer des graines, d’attiser la curiosité.
Thyl : On a prévu trois déambulations avant chaque représentation. Ensuite, il y a encore 2 dates à caler avec le futur service des grands brûlés qui ouvrira à l’automne.

Quels retours avez-vous reçus jusqu’à présent ?
Ondine : Très positifs. Les gens ont vraiment joué le jeu, même ceux qu’on pensait moins réceptifs, comme les services administratifs.
Thyl : Il y a eu une vraie participation, une curiosité, et pas mal de bonne humeur.

Thyl, comment arrivez-vous à concilier vie professionnelle à l’ESAT et vie artistique ?
Thyl : J’ai un trois-quarts temps à l’ESAT pour pouvoir me libérer du temps. C’est chargé, mais j’aime ça. Cela me permet de répéter, de me produire mais aussi de me reposer parfois. 

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez

Quand l’opéra vient au chevet des résidents de l’EPHAD Les Charmilles à Barlin

By | 2023/2024

Vendredi 22 novembre 2024, la compagnie Ensemble II Buranello était à l’EHPAD Les Charmilles à Barlin dans le Pas-de-Calais pour une série de chansons au chevet et un concert pour l’ensemble des résidents.

Guy est assis sur la table près de la fenêtre. Il boit son café face au grand miroir où l’on peut lire « Le comptoir ». Nous sommes dans la cafétaria de l’EHPAD Les Charmilles , à Barlin. « J’aurais bien aimé jouer d’un instrument de musique », dit-il en évoquant ces souvenirs : « j’avais une guitare dans le temps, avec une petite méthode, mais j’aurais voulu apprendre l’orgue et jouer à l’Eglise ! ». Si Guy nous parle de musique, c’est que des musiciens s’échauffent dans le bureau de l’animateur, juste en face de lui. Stéphanie Revillion, soprano,  Zeljko Drion-Marric, chanteur et claveciniste, et Martin Billé au théorbe viennent d’arriver pour une nouvelle journée d’impromptus dans le cadre de Plaines Santé. Guy les connait, il a assisté aux différentes conférences que la compagnie a animé. « Ma préférée était celle sur l’orgue, dit-t-il, mais j’ai aimé aussi celle sur le clavecin », se remémore le sexagénaire.

« Quand on s’est rendu compte que c’était un petit établissement, nous avons dû adapter la proposition, explique Stéphanie Révillion, nous avons proposé une série de conférences sur les instruments baroque, des cours de chant, des concerts, etc. ». La présence d’une école maternelle a également permis de varier les publics en proposant aux enfants de venir assister aux concerts, ou en faisant des ateliers directement avec eux. « Du public extérieur et des résidents d’un autre EHPAD sont également venus », ajoute Yoann Pontois, animateur et care manager de l’établissement.

Quelques notes d’amour

 La matinée est consacrée à des concerts aux chevets pour les résidents de l’EHPAD. « Ce sont des personnes qui ne sortent pas de leur chambre et qui ne pourront pas être présentes cet après-midi pour le concert », explique Yoann Pontois.

« Bonjour Madame, je suis chanteuse, et nous allons vous interpréter une chanson d’amour », lance Stéphanie à Lucette, chambre 104.

 

Lucette, qui d’habitude « refuse tout » selon Yoan, a accepté le cadeau offert par les artistes. Assise sur son fauteuil à côté de la fenêtre, dans sa chambre aux murs rouges, elle écoute le regard un peu perdu, face aux photos encadrées qui ornent ses murs. Entre ses mains, posée sur sa tablette, une petite boule de Crystal. « J’étais un peu dans mes pensées, mais j’ai entendu », réagit-elle une fois les artistes partis. 

Ces derniers sont partis offrir quelques notes d’amour, chambre 116, à quelques pas de là. On peut les entendre du couloir, ce dont ne se prive pas Jean-Pierre, assis dans sa chaise roulante, qui écoute sur le pas de la porte.

« Je n’étais jamais allée à l’opéra »

Dans le couloir, il y a aussi Madame Lemaire, comme elle se présente. « Vous vous rendez-compte la chance qu’on a ? », interpelle-t-elle. « Je ne suis jamais allée à l’opéra, et voilà que l’opéra vient à moi ».  Elle nous raconte à quel point elle aime la musique, que cela la détend et lui rappelle des souvenirs. « Je n’écoute pas ce genre de musique habituellement, mais il faut être ouvert et curieux à tout ! », ajoute-elle pleine d’entrain. « Moi c’est la chanson Diego de Johnny Hallyday : à chaque fois que je l’écoute, je pleure ! » 

La tournée matinale se termine dans un petit salon où plusieurs résidents et résidentes sont réunis avec leur famille. Fabienne est venue rendre visite à son père, Jacques. Ils étaient en train de discuter quand le trio est arrivé. « Ce n’est pas l’image habituel de l’hôpital, c’est bien ! réagit-elle. Mon père était éveillé, j’ai vu qu’il était attentif, je crois que ça lui a fait du bien ».

« Notre rôle d’artiste en milieu de soin est essentiel »

Les trois artistes sont invités à déjeuner avec les résidents. Aujourd’hui c’est repas de fête : moules frites. Ils enchaineront cet après-midi avec un concert collectif. « Notre rôle d’artiste en milieu de soin est essentiel, confie Martin Billé, joueur de théorbe, et notre musique s’y prête énormément je crois ». Pour Stéphanie Révillion, même constat : « Je pense que c’est important d’aller à la rencontre de personnes qui ne peuvent pas avoir accès normalement à la culture. Je le fais ponctuellement depuis longtemps, mais avec Plaines Santé, cela se passe sur le temps long, c’est comme être en résidence », explique la chanteuse. « Et c’est ce temps long qui permet la rencontre. »

« C’est important nous à Barlin de faire venir la culture. Nous sommes dans le bassin minier, et quand les mines se sont arrêtées, tout s’est un peu arrêté. Nous voulons vraiment offrir aux résidents des propositions culturelles qui leur permettent de s’ouvrir et de découvrir des nouvelles choses », Yoan Pontois, animateur et care manager à l’EPHAD Les Charmilles.

Propos recueillis par Sidonie Hadoux

Photographies: Gabriela Téllez

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